rhétorique agrivoltaïque

Rhétorique agrivoltaïque

extrait du dossier « emberlificotage agrivoltaïque »

L’histoire de « l’ agrivoltaïsme » est celle d’un coup marketing visant à s’accaparer du foncier, sous couvert de décarbonatation. Une histoire de publicitaires d’autant plus pernicieuse qu’elle s’est présentée durant près de dix années comme émanant d’un organisme public, l’Inrae. Mais comme l’a expliqué justement dans un entretien la chargée Enr de la Chambre d’agriculture des Pyrénées-orientales, « l’agrivoltaisme » est juste une question de sémantique1, une histoire de confusions volontairement gardées quant aux significations multiples que prendra ce mot ; permettant à des industriels de faire croire en des soi-disant bienfaits pour l’agriculture que procureraient des tonnes de métal à l’hectare.

Un concept marketing né en 2009 dans un contexte d’interdiction du photovoltaïque sur les terres agricoles et des premiers partenariats publics-privés. C’est ainsi que Christian Dupraz, agroforestier EELV mondialement connu, et l’entrepreneur Antoine Nogier, patron actuel du lobby France agrivoltaïsme (auquel adhère Dupraz) co-dirigé par la FNSEA, mettent en avant ce terme qui a pour carburant premier la tentative de distinction d’ un « autre photovoltaïque sur les terres », dès lors considéré comme vulgaire, et qui avait mauvaise presse. Une arnaque dans laquelle se sont engouffrés une dizaine d’année plus tard les syndicats agro-industriels : FNSEA et Coordination rurale, ainsi que des élu.es EELV, socialistes et communistes, ainsi que la majorité de la partie droite de l’échiquier, lors du débat sur la loi d’accélération des énergies renouvelables en 2023. Pourtant l’encadrement est un miroir aux alouettes visant à faire oublier que ce concept, s’adaptant aux oppositions, se doit de rester flou pour perdurer. Ainsi, S-A Pinet, DG du lobby France Agrivoltaïsme, qui revendique le fait d’avoir mis à l’ordre du jour de cette loi AER l’article sur l’agrivoltaïsme, présentait la vision qui a accompagné les débats dans l’hémicycle « il ne faut pas s’enfermer dans des grilles et des critères trop contraignants et trop exigus par rapport à l’évolution inévitable de la filière ». C’est ainsi la rhétorique de ce lobby qui a été votée2.

Et c’est par une rhétorique, elle bien précise, que ces projets prospèrent, usant de trois leviers argumentaires principaux permettant aux industriels de louvoyer avec leur concept depuis quinze années. Et dans leur hubris de production, les voilà qu’ils remettent en cause, à coup de larmes de crocodiles, les potentiels des surfaces déjà artificialisées qui pourraient être recouvertes sans toucher aux terres agricoles, naturelles et forestières. Mais leurs larmes sont cotées en bourse et l’absence de volonté politique de l’État en fait monter les cours. Et bien que les superficies des départements de l’Essonne ou celle de l’Ariège soient revendiquées comme étant à recouvrir, quelle que soit l’issue, « l’agrivoltaïsme » pourrait aussi se comparer aux perturbateurs endocriniens, ce n’est pas tant leur nombre qui crée le désordre.

Face à ce flou, un discours clair a émergé en septembre 2022. Aujourd’hui ce sont plus de 380 organisations nationales, régionales et locales qui signant une tribune3 -qui à coup de procédures, ou d’autres via des sabotages, se mobilisent contre ces installations industrielles, afin de défendre ce qui reste de parcelles de beauté.


Litanie agrivoltée

 

J’identifie trois leviers rhétoriques. Premièrement, se distinguer du vulgaire photovoltaïque au sol.

Ensuite faire croire que l’électricité produite l’est à titre secondaire et que le but premier serait l’aide à l’agriculture dans un contexte de changement climatique.

Et enfin, contribuer à faire en sorte que les surfaces concernées ne soient plus considérées comme de l’artificialisation (plus de précisions : « Dans la gadoue agrivoltée. Plongée dans la rhétorique des industriels du photovoltaïque »4)

 


Premièrement, « l’agrivoltaïsme » cherche à se distinguer du vulgaire PV via des termes « services » et « synergie » s’opposant à « cohabitation », « compatibilité », « coexistence » ou encore « couplage d’intérêt » relevant de la seconde catégorie… tout en permettant l’existence de cette seconde catégorie de PV (au cas où?) sur « des mauvaises terres ».

Si ces termes sont mis en avant, c’est que « l’agrivoltaïsme » est un concept marketing permettant de cacher les raisons économiques expliquant l’essor des panneaux sur sols vivants5, là où « cohabitation » ne suffisait pas. Ainsi comme l’explique le CNPN : « La plupart des projets font état de « pâturage ovin » ou de « fauche mécanique annuelle » (…). Les retours d’expérience de suivis de mesures ERC indiquent que les premiers (cinq à dix fois moins chers) sont favorisés par rapport aux seconds pour des raisons économiques »6. D’ailleurs dans son rapport l’ADEME met en avant que « selon les exploitants agricoles interrogés, les principaux atouts de ces projets sont l’accès à des structures agricoles à coûts nuls (…) l’accès à du foncier supplémentaire (…) le soutien économique à la valorisation d’un foncier (…) la pérennisation d’une exploitation ». Nulle trace d’écologie dans les principales raisons des paysan.n.e.s, seules existent des difficultés financières sur lesquelles prospèrent les industriels et que vient légitimer l’ADEME.7

Dans la loi, cette distinction est volontairement floue entre une centrale agrivoltaïque et une centrale photovoltaïque. En effet, alors que 4 mois avant le vote de la loi, la LPO, l’Ademe et l’OFB définissaient une « centrale Pv » (soit la seconde catégorie – non agrivoltaïque) par un taux de couverture allant de « 25 à 40 % de cette surface »8, c’est justement ce même taux qui est repris dans la loi pour définir les centrales agrivoltaïques, ces dernières pourront même aller au delà pour des projets de 10 à 30 hectares….

Cette tentative de distinction rocambolesque entre « deux photovoltaïque » amène à des confusions qui se sont exprimées à l’Assemblée nationale, telles celle du député EELV Fournier qui déclare : « nous l’affirmons depuis le début, l’agrivoltaïsme doit se développer d’abord sur les sols déjà artificialisés »…vu que les projets agrivoltaïque « ne contribuent pas à artificialiser les sols ».. Comprenne qui pourra. Et lorsqu’il tente de se rattraper, c’est pire : « notre position est claire : nous voulons un agrivoltaïsme (…) qui ne soit pas au sol »… sous terre donc, ou dans les cieux ?

Ou encore celle du Rapporteur macroniste de la loi Aer, qui était pourtant censé clarifier les débats. Pour lui l’agrivoltaïsme comporte des « panneaux [qui] doivent être installés plutôt en hauteur et être démontables ». C’est précis… Pis vl’à ti pas que « les animaux doivent pouvoir passer dessous ». Puis Bothorel tente une pointe d’humour et annonce fièrement que « nous nous opposerons aussi à [l’ installation de panneaux] au sol sur les terres agricoles – c’est, je crois, une position consensuelle, issue d’un travail transpartisan ». Et le voilà d’affirmer que : « Soyons très clairs à ce sujet ! Si, si, j’insiste. Je le redis, il n’y aura pas panneaux photovoltaïques au sol sur les terres agricoles. C’est aussi simple que cela ». En train de tituber très clairement, il ajoute que « nous ne voulons pas introduire de confusion dans la doctrine que nous allons nous efforcer d’écrire, et même de coécrire, ce soir, doctrine qui consiste, encore une fois, à renforcer l’agrivoltaïsme, (…) sans permettre pour autant l’installation de panneaux photovoltaïques au sol sur les terres agricoles (…) cela me paraît tout à fait clair, mais je me suis peut-être mal exprimé ». Peut être… Il reprend son souffle et enchaîne : « donc je vais expliquer à nouveau le principe du dispositif. Développer l’agrivoltaïsme sur des terres agricoles sera possible ; développer du photovoltaïque au sol sur des terres agricoles ne sera en revanche pas possible [car] non seulement la photosynthèse ne peut pas se faire derrière un tel panneau, ce qui ruine la terre, mais les panneaux affectent aussi le ruissellement, ravinent les terres et en dégradent la qualité. Incontestablement, ce schéma n’est donc pas bon ».

C’est tellement simple et clair que la loi écrite et défendue par Bothorel prévoit exactement l’inverse : la seconde catégorie de projet « non-agrivoltaïque » correspond à des panneaux sur des terres agricoles arbitrairement appelées « incultes »… mais aussi sur des zones à vocation naturelles et forestières, agricoles et pastorale et devant être compatible avec l’agriculture. Nous pouvons avancer, à l’instar des JA du 65 qu’« une mauvaise terre » est une terre qui est déjà bétonnée. Quant à la Conf du Val de Loire elle explique que c’est sur ces types de terre que de la polyculture- élevage s’est développée.

Sur cette catégorie de terre, le CNPN critique cette dépréciation, et rappelle pourtant qu’ en juin 2024 qu’en « France, nombre d’écosystèmes présentant une grande richesse en espèces sont détruits au motif qu’il s’agit d’anciennes carrières, de friches, ou de forêts jugées à faible « enjeu » ou à faible « patrimonialité », ou encore d’espaces agricoles, naturels ou forestiers considérés comme « incultes » (…) Le CNPN recommande que les notions de friche et de terres incultes soient plus explicites et plus restrictives dans les appels à projet de la Commission de Régulation de l’Énergie, en cohérence avec le décret n°2023-1259 du 26 décembre 2023 précisant les modalités d’application de la définition de la friche dans le code de l’urbanisme, et qu’elles excluent de ces « délaissés » les terrains non bâtis à vocation agricole ou forestière, ou ayant fait l’objet d’un réaménagement écologique ou d’une renaturation. Le degré de végétalisation d’une friche doit faire partie des alertes sur le potentiel d’enjeux de biodiversité (…) Particulièrement important dans le cas qui nous préoccupe ici, ce même décret [le décret n°2023-1259 du 26 décembre 2023 précisant les modalités d’application de la définition de la friche dans le code de l’urbanisme est venu préciser la notion de friche (art. D. 111-54 du code de l’urbanisme et apporte une clarification utile aux dispositions de l’article L. 111-26 du code de l’urbanisme] précise : « III. Ne peuvent être considérés comme des friches au sens du présent code les terrains non bâtis à usage ou à vocation agricole ou forestier. » La notice du décret précise que les terrains à caractère naturel, y compris après avoir fait l’objet d’une renaturation (même spontanée), ne sont pas non plus concernés car ils présentent bien un usage à cette fin sans nécessiter de travaux pour leur réemploi ».


Le deuxième argument, concerne la rhétorique de l’ombre, provenant des arbres photovoltaïques de Dupraz l’agroforestier, qui amène à appeler « ombrière » bien des projets.

Les panneaux seraient ainsi là pour faire de l’ombre et apporter des bienfaits à l’agriculture… et secondairement pour produire de l’électricité, tel un bonus. Mais que signifie secondairement lorsque la marge électrique peut atteindre 200 000 euros par hectare et année9?

Qui plus est, tous les industriels, ainsi que la FNSEA ont présenté leurs modèles de rémunération pour les agriculteurs (voir le document « Dupraz sous la canopée… »10). Et dès avant la loi AER cet argument servait aux industriels pour s’accaparer du foncier plus facilement. Ainsi en 2020 « le guide de l’instruction des demandes d’autorisations d’urbanisme pour les centrales solaires au sol » du Ministère de la Transition écologique, légitime cet argument et permet à des permis de construire « d’ombrières » de ne plus être déposés auprès des services de l’ État, mais directement auprès des collectivités : « les projets de centrales solaires au sol se distinguent des panneaux solaires placés sur ombrières ou sur serres puisque leur destination principale n’est pas la production d’énergie mais la création d’un espace abrité. Ce type de destination relève de la compétence d’urbanisme de droit commun, donc de la commune dès lors qu’elle dispose d’un document d’urbanisme ». Premièrement donc, une « ombrière » serait là pour créer un « espace abrité » (et apporter des bienfaits à l’agriculture) et secondairement, pour produire de l’électricité. C’est bien trouvé.

C’est ainsi que dans les P-O, les hectares de panneaux posés sur des vignes, sont appelés « ombrières » par Sun’ Agri. D’ailleurs France Agrivoltaïsme s’en félicite dès 2021. Selon elle « l’ agrivoltaïsme, en tant qu’outil de régulation climatique, relève de permis agricoles, plus rapides qu’en préfecture. Les projets de taille raisonnable sont plus rapides à mettre en œuvre que les grands projets [car présentant une] meilleure acceptabilité [ainsi qu’une] enquête publique non nécessaire [et une] absence de recours »11.

Actuellement, cette rhétorique a toujours les mêmes vertus rhétoriques. D’une part employer « ombrière » dans des PC permet aux industriels d’être exemptés de l’étude d’impact environnementale dont le seuil de déclenchement est normalement à 1 Mwc (1 à 3 hectare environ) : c’est le Décret 2022-970 et l’article R.122-2 du code de l’environnement qui a permet ceci. Et d’autre part l’emploi du terme « ombrière » permet, encore à ce jour, que les PC soient instruits par les mairies, et non par la préfecture, comme pour le projet à Solomiac dans le Gers où en 2024 l’industriel met en avant l’activité agricole comme étant prépondérante, et non la production d’énergie.

Le terme ombrière n’étant pas définit, les projets s’en réclamant n’ont pas de limite de puissance ni de surface à respecter. Ainsi, est-ce peut être grâce au flou entourant ce terme que le gouvernement Barnier a glissé insidieusement dans un Décret concernant le photovoltaïque sur les parkings -ce que d’usage l’on entend par « ombrière », que tous les projets de 3 à 6 hectares, y compris en dehors des parkings, soient exemptés de déposer un permis de construire et puisse déposer une simple déclaration préalable. Un décret attaqué en justice par la Conf nationale.

Le CNPN semble pourtant avoir une acception différente du terme et explique que « Le savoir-faire des entreprises concernées doit être orienté vers les installations sur toitures et les ombrières : seules des contraintes plus fortes inciteront l’ensemble des acteurs du secteur à se tourner vers les milieux artificiels, qui impliquent des procédés d’installations adaptés, mais plus profitables pour le collectif et la biodiversité ».


Troisième et dernier levier rhétorique : faire croire que des tonnes de métal à l’hectare, des pistes de graviers, des postes de transfo, des kilomètres de grillages à plus de 2 mètres avec caméras et des kilomètres de câbles enterrés, ne sont pas de l’artificialisation.

Les Décrets et Arrêtés de la loi Climat et résilience ont permis cela, si tant est qu’il existe « un espacement entre deux rangées de panneaux distincts au-moins égal à la largeur maximale de ces panneaux », ainsi que « le maintien d’un couvert végétal adapté, que les panneaux sont plus que haut que 1,10 mètre »12 et autres critères abscons. Le député EELV Fournier, en charge de ce sujet, pouvait ainsi déclarer lors du débat de la loi Aer que « l’agrivoltaïsme » « ne contribuent pas à artificialiser les sols ».

Et un prospecteur a pu raconter au chercheur Romain Carrausse, que sa phrase clé pour arriver à faire signer des agriculteurs était « on va vous louer le volume d’air au dessus de votre parcelle pendant 30 ans » : une d’appropriation d’un commun, « l’air », qu’ils industrialisent. Et on retombe ainsi sur les « ombrières » qui faisant de l’ombre, n’artificialiseraient pas.

Pourtant, le CNPN ne semble pas tomber dans cette réthorique, et précise en juin 2024 que « seulement 7 dossiers répondant à une forme d’agrivoltaïsme ont fait l’objet d’une demande de dérogation, mais tous ont des impacts sur une partie d’habitats naturels ou semi-naturels [et] Bien que la majorité des centrales photovoltaïques au sol constituent une artificialisation des sols, aucune ne prévoit en compensation de renaturation des sols.»


1 Par l.S « Les cultivateurs de kilowatts font main basse sur les Pyrénées-Orientales », janvier 2023 https://ccaves.org/blog/wp-content/uploads/main-basse-sur-les-Pyrenees-Orientales-1.pdf

6 Bertrand Schatz, obs. pers.