Confédération Paysanne : Nous ne tomberons pas dans le panneau de l’agrivoltaïsme ! Positionnement quant au photovoltaïque sur les terres agricoles naturelles et forestières

Nous ne tomberons pas dans le panneau de l’agrivoltaïsme !

 

Positionnement quant au photovoltaïque

sur les terres agricoles naturelles et forestières

 

Confédération paysanne, septembre 2022

 

 

 

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Le couplage entre production solaire et production agricole est perçu comme un moyen pour développer les énergies renouvelables et apporter un complément de revenu aux agriculteurs. A première vue, « l’ agrivoltaïsme »1 a tout pour plaire. En réalité, cette notion relève du marketing et vise à légitimer un opportunisme foncier et financier dans un contexte difficile pour le monde paysan. L’agrivoltaïsme éloigne de l’autonomie : il ajoute à la dépendance au complexe agro-industriel (industries de la grande distribution, des engrais, pesticides et semences, machines agricoles, banques, organisations syndicales défendant leurs intérêts…) une autre dépendance plus moderne et consensuelle car porteuse de l’image de l’énergie renouvelable. Ses effets pervers sont multiples : atteinte à la vocation nourricière de la terre du fait de l’artificialisation et d’une moindre disponibilité foncière, précarisation des paysan.nes, manne financière générant des conflits d’intérêt, perte de la qualité de vie au travail, dégradation des paysages, atteinte à la biodiversité… Alors que les gisements photovoltaïques sur les toitures et les espaces artificialisés sont largement suffisants pour répondre à la demande d’électricité renouvelable, la Confédération paysanne récuse la notion d’agrivoltaïsme et exige l’interdiction des centrales photovoltaïques sur toutes les terres agricoles, naturelles et forestières.


Développer le photovoltaïque sur les toitures et espaces artificialisés

En préalable, rappelons que l’énergie la moins chère et la moins polluante est celle que l’on ne consomme pas. Nous devons en priorité envisager une réduction importante de la consommation énergétique et renforcer l’efficacité énergétique de nos usages.

Les objectifs de développement du photovoltaïque

La programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) pour la période 2019 – 2023 vise un développement des énergies renouvelables pour atteindre 40% du mix énergétique en 2030. Elle prévoit une forte croissance du solaire photovoltaïque, avec un doublement de la puissance installée d’ici 2023 pour passer de 10,4GW actuellement à 20,1 GW. Pour 2028, la fourchette s’étend de 35,6 à 44,5 GW, dont 40% sur des bâtiments, et 60 % au sol, soit l’équivalent de 16 000 à 21 000 hectares d’ici 2028, à raison de 1ha/MW. Comme le rythme actuel de déploiement est trop faible pour atteindre ces objectifs, l’État entend assouplir les règles pour faciliter l’implantation de photovoltaïque sur les bâtiments, les friches, mais avant tout sur les terres agricoles, naturelles et forestières : ce n’est ni souhaitable, ni nécessaire.

Des gisements en toitures et friches industrielles suffisants

Dans ses rapports de 20182 et 20193, l’ADEME évalue des gisements de photovoltaïque à 123 GW sur grandes toitures, 49 GW sur les friches industrielles et 4 GW pour les parkings. Elle appelle à privilégier ces modèles « pour éviter d’occuper des sols agricoles et de nuire à l’image de cette énergie renouvelable »4. Ajoutons que la France compte entre 24 000 et 32 000 zones d’activités5, soit 450 000 hectares déjà artificialisés, qui sont en grande partie propices à recevoir des panneaux photovoltaïques. Ce potentiel est donc bien supérieur à l’objectif de 44,5 GW en 2028, fixé par la PPE et 100 GW en 2050 fixé par E. Macron lors de son discours du Creusot en décembre 2020. Nous demandons un recensement exhaustif de ces gisements à l’échelle départementale et la publication des résultats.

Un faible surcoût du PV sur toiture comparé au PV au sol

Les surcoûts des installations sur toiture comparativement au PV sol sont relativement faibles. L’installation de panneaux ne nécessite pas un renforcement systématique de la structure. L’ADEME explique : « si l’on déplace le curseur de répartition PV sol versus PV toitures, les surcoûts pour le système sont faibles »6. Elle les évalue à 550 M€ par an (pour 100% de PV sur toitures), soit 2% du coût capacitaire total des énergies renouvelables (32,3 Mds € annuel) et 10% du coût capacitaire du PV (5,6 Mds €). Ainsi terres agricoles, naturelles et forestières peuvent ne pas être mobilisés. Leur utilisation ne ferait que repousser l’équipement des friches industrielles délaissées, des espaces interstitiels des zones d’activité et des différents types de toitures (grandes ou petites).

Oui à des projets citoyens sur les toitures et espaces artificialisés

Compte-tenu des gisements PV, une politique de développement des énergies renouvelables est possible, associant les collectivités et les citoyen.nes, dans un cadre démocratique et décentralisé. Les collectivités ont tout intérêt à développer des Sociétés d’Economie Mixtes d’Energie qui génèrent davantage de retombées économiques que les projets privés captant la valeur dans le territoire. Pour les citoyen-nes et paysan-nes qui souhaitent équiper leurs toitures, le coût du raccordement ou le refus des assureurs constituent trop souvent un obstacle. L’État doit soutenir ces projets, par un cadre juridique, des contrats et des tarifs de rachat adaptés. C’est une condition sine qua non, pour que la transition énergétique ne soit pas une menace de plus pour l’autonomie paysanne et la souveraineté alimentaire.

Une autorisation au cas par cas du photovoltaïque sur les bâtiments agricoles

La Confédération paysanne n’est pas opposée à l’installation de panneaux PV sur des bâtiments agricoles, existants ou neufs. La priorité est un soutien à l’équipement des toitures existantes, notamment pour le remplacement des toitures fibrociment (adaptation des exigences techniques, financements pour le désamiantage et le raccordement au réseau…). Les bâtiments neufs ne doivent être autorisés que s’ils répondent à une nécessité agricole, sont dimensionnés à l’échelle de la ferme et implantés correctement, c’est-à-dire en fonction de leur usage et non de la proximité du point de raccordement. En revanche, les serres photovoltaïques sont souvent des projets alibi ou mal conçus qui deviennent de simples structures pour les panneaux n’accueillant aucune production agricole, comme à Bourgneuf dans le Maine-et-Loire. Réalisées souvent pour des raisons strictement économiques, elles doivent encore faire la preuve de leur intérêt agronomique et sont très difficiles à reconvertir. C’est pourquoi nous sommes réservés face à de tels projets.


Une menace pour les terres agricoles et les paysages

La Confédération paysanne réaffirme la vocation nourricière des terres agricoles et la priorité de la production alimentaire sur la production énergétique (PV, agrocarburants, cultures dédiées à la méthanisation). Pour garder les capacités productives de notre agriculture, la solution n’est pas l’intensification basée sur des béquilles chimiques, mais la préservation quantitative et qualitative de la surface agricole.

Une artificialisation durable des terres

L’installation de panneaux photovoltaïques au sol correspond bien à une artificialisation qui dégrade les fonctions des sols et nuit à la biodiversité, contrairement à ce qu’affirme l’article 194 de la loi Climat et Résilience du 22 août 2021. C’est encore plus flagrant pour les forêts, qui représentent des puits de carbone apportant des services écosystémiques majeurs (biodiversité, pluie, vent). Malgré des critères visant à limiter cet impact, les ancrages béton, clôtures, lignes électriques enterrées et voies d’accès sur des kilomètres affectent les sols, perturbent la faune et la flore de façon durable. Les centrales PV au sol limitent la photosynthèse, avec des pertes importantes pour la production d’herbe qui réduisent la production agricole7. Si ces installations sont matériellement réversibles, elles ne le sont pas en pratique pour des questions de rentabilité des investissements réalisés.

Un impact majeur sur les prix et la disponibilité du foncier

Les loyers proposés aux propriétaires pour l’installation de centrales PV déstabilisent complètement le marché foncier, avec un rapport de 1 à 10 ou 30 pour le fermage (ex : 150€/ha vs 4000€ pour du PV) et de 1 à 3 ou 6 pour l’achat. Selon certains experts fonciers « considérant les taux proposés, un hectare de terrain couvert de panneaux avec un loyer de 2 000€/ha/an pourrait se valoriser entre 20 000 et 40 000 €/ha8 » quand le prix moyen à la vente des terres libres atteint 5 940€ l’hectare9. L’appât du gain peut conduire des propriétaires à s’opposer au renouvellement des baux ou à éviter la location à un nouveau fermier. Ce sont autant de terres qui sortent du statut du fermage, font l’objet d’une rétention foncière et sont menacées de déprise. La transmission des fermes est également menacée, certain-e-s paysan-nes en fin de carrière préférant conserver leur foncier pour s’assurer une retraite confortable. D’autres terrains, comme les bases aériennes désaffectées, sont aussi utilisés pour le photovoltaïque, alors qu’ils devraient être destinés à l’agriculture. Idem pour les carrières et décharges de déchets inertes devant être restituées à un usage agricole après remise en état, et non accueillir du PV. De plus, l’argument du mauvais caractère pédologique de sols (souvent le résultat d’une agriculture intensive), n’est pas recevable car ces terres ont une vocation agricole. Celui d’une amélioration du potentiel agronomique pour justifier « l’agrivoltaïsme » peut facilement être instrumentalisé par des bureaux d’études juges et parties, qui sous-évaluent la production agricole initiale et gonflent la valeur ajoutée de la production finale.

Une manne qui génère des conflits d’intérêt

Cette manne financière génère des conflits d’intérêts pour les collectivités territoriales qui en bénéficient et les chambres d’agriculture qui récupèrent les financements issus de la compensation collective agricole, censée contrebalancer les effets négatifs de l’artificialisation. Dans la Nièvre, c’est une stratégie assumée du président de la chambre d’agriculture qui entend financer des bassines grâce à 2000ha de PV, dont les retombées viendraient alimenter le Groupement d’Utilisation de Financements Agricoles. La réalisation d’études sur l’agrivoltaïsme place les chambres d’agriculture dans une situation où elles sont juges et parties. Parfois, les élus locaux sont directement impliqués dans des projets de PV, en tant que propriétaires fonciers ou bénéficiaires des fonds issus de la compensation collectives. Ces conflits d’intérêt qui concernent les représentants siégeant en CDPENAF peuvent conduire à l’autorisation de projets contraires à l’intérêt général.

Une dégradation de la qualité de vie au travail et des paysages

L’agriculture paysanne doit participer avec les citoyen.nes à rendre le milieu rural vivant dans un cadre de vie apprécié par tous. Que cela soit par la qualité et la diversité du milieu naturel, les ruraux dans leur vie quotidienne désirent la protection de cet espace générateur d’emplois.

Alors que l’agriculture est l’une des professions qui rémunère le moins en France, qu’un malaise de la profession est reconnu et qu’il faudra recruter massivement pour faire face aux nombreux départs en retraite, une motivation essentielle est la qualité de vie au travail, en plein air, dans un cadre beau, regarder le ciel et écouter le chant des oiseaux : nous défendons un rapport sensible au monde qui nous est primordial. Travailler sous des panneaux c’est dégrader notre qualité de vie au travail, mais aussi l’environnement et les paysages de tous pour le bénéfice de quelques propriétaires et promoteurs. Quelle que soit sa surface, un parc photovoltaïque sur des terres agricoles et naturelles, est une installation de nature industrielle qui altère les paysages et l’attractivité touristique. Nous refusons l’industrialisation des campagnes. A l’inverse, les infrastructures naturelles, vergers de plein vent, haies, agroforesterie apportent plus de bénéfices aux écosystèmes : ombre pour les animaux et les cultures, fourrage en cas de sécheresse, bois énergie, refuge pour la biodiversité et lutte biologique. Ils sont eux, 100 % renouvelables et recyclables !


L’agrivoltaïsme : une attaque contre l’Agriculture Paysanne

L’Agriculture Paysanne doit permettre à un maximum de paysan.nes répartis sur tout le territoire de vivre décemment de leur métier en produisant sur des exploitations à taille humaine une alimentation saine et de qualité, sans remettre en cause les ressources naturelles de demain. Nous voulons vivre de notre métier plutôt que du loyer de nos terres pour la production l’énergie et ou de l’entretien des panneaux. La contrepartie financière peut sembler alléchante rapportée à nos revenus, mais la mise à disposition de notre outil de production à des sociétés qui s’enrichissent sur notre dos met en péril l’agriculture paysanne, nous prive de notre autonomie et précarise notre activité. Le photovoltaïque constitue alors un cheval de Troie de la financiarisation de l’agriculture qui prospère grâce à différents montages sociétaires et apporteurs de capitaux.

La rente photovoltaïque n’est pas un revenu agricole

Les revenus issus du photovoltaïques correspondent soit à un revenu foncier, quand le propriétaire touche un loyer, soit à un bénéfice industriel et commercial, quand il réalise un investissement direct et revend l’électricité produite. Dans les deux cas, ces revenus issus de la propriété foncière ne sont pas agricoles et exemptés de cotisations MSA. La rente photovoltaïque ne saurait être une solution pour palier la faiblesse des prix agricoles ou la perte de certaines aides comme l’ICHN10. Elle crée une inégalité entre les fermiers et les propriétaires exploitants, qui pourraient valoriser leur foncier, le photovoltaïque étant incompatible avec le statut du fermage. Comme pour la méthanisation, le comportement des agriculteurs change lorsque l’agriculture ne constitue plus le revenu principal de l’exploitation.

Contre la précarisation et la subordination des paysan.nes

Pour être autorisées dans les zones agricoles, les centrales PV au sol doivent être « compatibles » avec l’activité agricole, une notion dangereusement imprécise. Elles nécessitent la présence d’un.e paysan.ne, pour justifier de la dimension agricole du projet. La mise à disposition du terrain sous forme de commodat, qui peut être résilié à tout instant, les condamne à la précarité et les prive de liberté dans le choix de leurs pratiques culturales. Des éleveurs ovins sont parfois contraints d’accepter l’installation de panneaux sur des parcours communaux qu’ils utilisent, car ils sont menacés de perdre l’accès à d’autres espaces de pâturage. Quand ils touchent un revenu de 30 000€ par an pour l’entretien de 90ha sous les panneaux, le contrat s’apparente à du salariat déguisé. Il existe un risque de déstabilisation des filières agricoles supposément compatibles l’ »agrivoltaïsme », comme la filière ovine, conduisant à brader le prix de la viande quand les revenus viennent essentiellement de la prestation de service d’entretien. Nous refusons que la production alimentaire devienne un sous-produit de la production énergétique. Cette situation de subordination et de précarité est incompatible avec l’autonomie qui fonde l’agriculture paysanne. L’industrie de l’agrivoltaïsme prospère ainsi sur les difficultés du monde paysan.

 

Une perte d’autonomie dans les pratiques agricoles

Notre autonomie de choix, d’action, n’est pas de devenir des jardiniers sous des panneaux. Les panneaux diminuent la surface agricole utile, gênent le travail, et réorientent les choix de production vers ce qui est compatible avec les panneaux, plutôt que vers ce qui est souhaitable agronomiquement. Les arbres ont été arrachés pour laisser la place au tracteur et maintenant on installerait des panneaux parce qu’ils rapportent gros ? Nous dénonçons le rapport de l’ADEME qui prône des projets agrivoltaïques « flexibles » et « adaptables » alors qu’il apparaît impossible qu’ils le soient dans les faits : si un.e paysan.ne décide de passer de l’élevage bovin à l’arboriculture de plein vent ou au maraîchage, les sociétés de PV – souvent des multinationales – viendront-elles changer la configuration des panneaux ? Bien sûr que non…


Il est nécessaire d’amorcer la désescalade de l’emprise technologique afin que les paysan.nes puissent travailler la terre eux-mêmes sans être dépendants de l’agro-industrie.

Nous souhaitons vivre dignement de notre métier qui n’est pas de produire de l’énergie.

L’unique raison de la pression industrielle actuelle sur les terres agricoles, naturelles et forestières est financière. Favoriser le PV sur ces terres est un choix politique que rien dans un budget étatique ne peut justifier.

Toute l’agitation des ministères et des agences de l’État pour légitimer ces projets et « l’agrivoltaïsme », est une diversion visant à enrichir des sociétés, souvent multinationales, sur le dos du monde paysan.

En mettant notre outil de production à disposition de ces sociétés, nous les enrichissons et dépossédons les paysan.es de leur autonomie.

Nous appelons à refuser massivement ces projets !

Commission énergies de la Confédération paysanne

Septembre 2022


 

1L’ADEME en donne la définition suivante : « Une installation photovoltaïque peut être qualifiée d’agrivoltaïque lorsque ses modules photovoltaïques sont situés sur une même surface de parcelle qu’une production agricole et qu’ils l’influencent en lui apportant directement, ou un service d’adaptation au changement climatique, ou un service d’accès à une protection contre les aléas, ou un service d’amélioration du bien-être animal ou un service agronomique pour les besoins des cultures, et ce, sans induire ni dégradation importante de la production agricole quantitative et qualitative, ni diminution des revenus issus de la productions agricole », Guide « Caractériser les projets photovoltaïques sur terrains agricoles et l’agrivoltaïsme », 2019, https://librairie.ademe.fr/energies-renouvelables-reseaux-et-stockage/4992-caracteriser-les-projets-photovoltaiques-sur-terrains-agricoles-et-l-agrivoltaisme.html

3Évaluation du gisement relatif aux zones délaissées et artificialisées propices à l’implantation de centrales photovoltaïques – Ademe Transénergie, avril 2019, rapport et synthèse, disponibles sur : https://www.ademe.fr/evaluation-gisement-relatif-zones-delaissees-artificialisees-propices-a-limplantation-centrales-photovoltaiques

5CEREMA, https://www.cerema.fr/fr/centre-ressources/boutique/zones-activite-economique-peripherie-leviers-requalification

6« Un mix électrique 100% renouvelable ? Analyses et optimisations. Un travail d’exploration des limites du développement des énergies renouvelables dans le mix électrique métropolitain à un horizon 2050, octobre 2015

7 Par exemple en Indre-et-Loire, la Chambre d’agriculture anticipe pour une ferme expérimentale agrivoltaïque une chute de 45% de la production en ovin viande, due à une baisse de la production d’herbe.

8Revue Experts Fonciers, le magazine de l’expertise foncière, agricole, immobilière, mars 2022

9Données FNSAFER 2021

10 Indemnité Compensatoire d’Handicap Naturel