Le 14 décembre 2022, les pizzerias sont remplies, et dans des stades Qataris climatisés construits sur le sang de milliers de travailleurs détachés, l’équipe de France est en demi-finale face au Maroc.
Pendant ce temps-là, un autre match est en train de se jouer à l’Assemblée Nationale. Ses conséquences sont toutes autres : est-ce que 500 000 hectares de terres agricoles vont être recouvertes de panneaux photovoltaïques tel que revendiqué dans Le Monde le jour même, par l’inventeur du concept « agrivoltaïque » Christian Dupraz ?
Cet ex élu régional EELV est le compagnon de route de Sun’ Agri, le principal acteur du lobby France Agrivoltaïsme, ce que Le Monde s’est bien gardé de préciser. Ce jour-là, les macronistes se retrouvent en difficulté face à la France Insoumise, qui s’affiche ouvertement contre en reprenant la position de la Confédération Paysanne. Ainsi, juste avant le coup d’envoi attendu dans bien des cafés, un coup de théâtre a bien failli se jouer dans l’hémicycle.
Le député aveyronnais LFI Laurent Alexandre défend l’amendement « Aurélie Trouvé » qui vise à supprimer, de la loi dite d’accélération des énergies renouvelables, tout l’article concernant l’ agrivoltaïsme.
Selon lui « le développement de l’agrivoltaïsme tel que vous le promouvez ne nous paraît pas pertinent : les besoins n’ont pas fait l’objet d’une évaluation approfondie, aucune étude d’impact adéquate n’a été réalisée ».
Aurélie Trouvé enchaîne : « j’entends ici et là que cette activité produirait de l’ombre pour les moutons ou qu’elle permettrait de compléter les revenus agricoles. Mais disons-le clairement, chers collègues, la meilleure manière d’augmenter les revenus des agriculteurs, c’est de leur garantir des prix rémunérateurs, et non de les transformer en producteurs d’électricité ! ». L’ancienne porte-parole d’ ATTAC précise qu’ « un nombre croissant de projets ne considèrent la production agricole que comme un alibi. Cela vaut aussi bien pour les serres que pour les pâturages – où ne paissent que de rares moutons – couverts par des panneaux photovoltaïques. La raison en est simple : malheureusement, sur une terre cultivable, la production photovoltaïque est largement plus rentable que la production agricole, tant les prix des produits agricoles sont bas ». Pis l’ ingénieure agronome et docteur en économie questionne tous les tartuffes qui pérorent sur l’aide face au changement climatique et l’amélioration du potentiel agronomique qu’apporteraient des hectares de panneaux métalliques placés au dessus des paysan.nes « peut-être aurions-nous besoin de petites leçons d’agroécologie : comment un panneau solaire permettra-t-il de nourrir l’humus du sol ? Comment permettra-t-il d’héberger la faune sauvage ? Comment contribuera-t-il à produire de la nourriture et de la litière pour le bétail ?»
Mais pour Eric Bothorel, le rapporteur Macroniste de la loi, l’important est de défendre mordicus les agro-industriels : « l’adoption de l’amendement que vous venez de présenter reviendrait à interdire l’installation de panneaux photovoltaïques sur toutes les terres agricoles et dans toutes les exploitations, indépendamment de leur forme ».
Le socialiste Potier ressentant le danger de l’amendement lâche un « c’est vrai ! ». C’est alors au tour de la ministre Pannier-Runacher de se servir de la position des Jeunes Agriculteurs qui, le 22 septembre 2022 demandaient un moratoire contre l’ agrivoltaïsme et affirmaient « durcir le ton et s’opposer à la poursuite de tous projets agrivoltaïques », mais ont tout de même ajouté subtilement « tant que les conditions demandées ne seront pas garanties par l’État ».
Et justement, l’État, il sait murmurer à l’oreille des Jeunes Agriculteurs : « j’ai moi-même rencontré le président des Jeunes Agriculteurs [et il préfère] cette loi au statu quo. Vous pouvez retrouver ses propos, en l’occurrence son tweet, sur le sujet – c’est public. Les agriculteurs veulent de l’agrivoltaïsme » se réjouit malicieusement la ministre.
Peu avant le début du match au Qatar, l’amendement de suppression de la LFI est mis au vote, mais rejeté à 2 voix près.
L’écologiste Delphine Batho, qui pourtant en commission reprenait mot pour mot l’argumentaire de la Conf, et ses collègues Charles Fournier, Régol et Peytavie, s’abstiennent, tout comme le communiste Pierre Dharréville, et les socialistes Dominique Potier, Guej, Naillet, Hajjar, Tomin et Echaniz.
Cette défaite, qui s’est jouée à très peu, amène la Conf à regretter « amèrement que les députés n’aient pas osé prendre les décisions qui s’imposent »1.
Le syndicat pointe qu’en plus de légitimer le terme marketing « agrivoltaïque », l’Assemblée nationale autorise les autres « projets photovoltaïques sur les terres incultes ». Un concept abscons que l’on doit au socialiste Potier qui reprend la vulgate des industriels.
Les organisations agricoles et environnementales vont-elles se retrouver engluées à débattre de l’argutie « agrivoltaïque », et de pratiques attentatoires à l’agriculture paysanne, en des termes définis par les lobbys du secteur ?
Litanie agrivoltée
La rengaine « agrivoltaïque » permet aux industriels trois diversions : se distinguer « du vulgaire photovoltaïque au sol » ; faire croire que l’électricité produite l’est à titre secondaire et que le but premier serait l’aide à l’agriculture dans un contexte de changement climatique ; et contribuer à faire en sorte que les surfaces concernées soient de moins ne moins considérées dans les discours et dans les textes légaux, comme étant de l’artificialisation.
Premièrement, le « simple photovoltaïque » sur terres agricoles avait de moins en moins bonne presse, y compris à la FNSEA. Le Lobby France Agrivoltaïsme se met donc à prôner un « agrivoltaïsme dynamique », truffé d’intelligence artificielle qui apporterait des « services » à l’agriculture. Il affirme par là se démarquer du photovoltaïque qui ne ferait que « cohabiter » avec l’agriculture. En ce sens et aussi par pragmatisme, cette association caritative explique qu’un « agrivoltaïsme proprement encadré serait plus rapide à développer que le solaire au sol classique » 2
Ensuite, une des conséquence de la création de 2 catégories de photovoltaïque, est l’argumentaire tendant à faire croire que les panneaux ne sont plus là pour produire d’abord de l’électricité -mais en produiraient « à titre secondaire », et seraient installés dans le but d’aider l’agriculture -dans une optique industrielle- dans un contexte de changement climatique, et ce en créant un espace abrité pour les cultures.
Ainsi, dès 2020 « le guide de l’instruction des demandes d’autorisations d’urbanisme pour les centrales solaires au sol » du Ministère de la Transition écologique, légitime cet argument et permet à des permis de construire « d’ombrières » de ne plus être déposés auprès des services de l’ État, mais directement auprès des collectivités. En un style quelque peu illisible qui laisse affleurer des difficultés d’interprétation, on peut y lire que « la compétence de l’État pour les centrales solaires au sol dépend de la destination principale de l’installation ». Pour cela il convient de distinguer si l’énergie produite par l’installation est ou non « principalement destinée à une utilisation directe par le demandeur ».
Suite à quoi, le Ministère reprend 2 années avant la loi la vulgate des industriels de l’énergie et explique que « les projets de centrales solaires au sol se distinguent des panneaux solaires placés sur ombrières ou sur serres puisque leur destination principale n’est pas la production d’énergie mais la création d’un espace abrité. Ce type de destination relève de la compétence d’urbanisme de droit commun, donc de la commune dès lors qu’elle dispose d’un document d’urbanisme ». C’est ainsi que dans les P-O, les hectares de panneaux posés sur des vignes, sont appelés « ombrières » par Sun’ Agri. D’ailleurs France Agrivoltaïsme s’en félicite dès 2021. Selon elle « l’ agrivoltaïsme, en tant qu’outil de régulation climatique, relève de permis agricoles, plus rapides qu’en préfecture. Les projets de taille raisonnable sont plus rapides à mettre en œuvre que les grands projets [car présentant une] meilleure acceptabilité [ainsi qu’une] enquête publique non nécessaire [et une] absence de recours. La filière agrivoltaïque a les moyens et les ressources nécessaires pour organiser un ramp-up rapide »3
Ajoutons à cela que les porteurs de projet usent régulièrement du terme « mauvaise terre » afin d’accéder plus facilement à du foncier auprès des propriétaires terriens. En rabaissant certaines terres dans leurs discours, ils leurs font perdre de la valeur, ce qui leur permet en un second temps de mettre en avant la carotte de « l’amélioration du potentiel agronomique » qu’apporterait la centrale PV.
Troisièmement et en ce sens, ce terme a contribué à faire en sorte que les surfaces concernées soient de moins en moins considérées dans les discours et dans les textes légaux, comme étant de l’artificialisation, puisqu’ils « amélioreraient le potentiel agronomique » et seraient même « en synergie » avec l’agriculture. C’est ainsi que l’Arrêté et le Décret d’application de la loi Climat et Résilience inscrit dans le marbre dès le printemps 2022 que des panneaux ne seront plus comptabilisés comme de l’artificialisation, et ce via des critères abscons d’acceptabilité, tel celui qui veut que l’ « espacement entre deux rangées de panneaux distincts [doit au moins être] égal à la largeur maximale de ces panneaux, en valeur absolue » 4
Le Syndicat des Energies Renouvelables (SER) s’il salue l’avancée le 8 juin 2022, en signale les limites pour les porteurs de projets 5
C’est pourquoi France Agrivoltaïsme, en août 2022, réaffirme le mantra qui veut que l’agrivoltaïsme « ne doit pas entraîner d’ artificialisation des sols » 6
Pour exemple résumant cette stratégie, Sun’ Agri, à la tête du lobby France Agrivoltaïsme, met en avant, lors du dépôt de son permis de construire (imposé suite à un Recours gracieux contre l’avis de tous les élu.es) dans le tout petit village de Terrats dans les Pyrénées-Orientales en 2021 que l’ agrivoltaïsme est né du « triple constat fait par Sun’ Agri et l’ INRAE ». Dans ce permis de construire l’amélioration du potentiel agronomique dans une optique industrielle est mise en avant afin de « poursuivre l’exploitation des terres agricoles sans perdre de rendement alors que l’agriculture intensive est une industrie mature sans espérance de gain de productivité ». Ensuite Sun’ Agri signale que « les terres agricoles sont menacées d’artificialisation face à la concurrence photovoltaïque » et par là se démarque du « vulgaire photovoltaïque » et tente de faire croire aux élu.es que son projet ne concourt pas à l’artificialisation. 7
Le sens du dessus et le sens du dessous
Le chercheur Romain Carausse, docteur en géographie, décrit une « rhétorique de l’ombre ». Cette argumentation remonte à l’invention du concept fin des années 2000, lorsque Sun’ Agri et son président Antoine Nogier, par ailleurs aujourd’hui dirigeant du lobby France Agrivoltaïsme, se tournent vers les agroforestiers en recherche d’un argumentaire que l’on pourrait qualifier de « bien-être et productivité sous l’ombrage des panneaux ». Les agroforestiers travaillant sur le rôle de l’ombre sur les cultures ; voilà « bras-dessus bras-dessous » l’entrepreneur Antoine Nogier avec l’agroforestier Christian Dupraz de l’INRAE. Ce dernier, qui invente le terme, fut corédacteur du rapport de l’ADEME de 2021 qui légitime la pratique. Un rapport qui sert de fondement aux deux lois qui en 2022 et 2023 ancrent ce concept dans les textes.
Loïc : « Comment t’es venu ce titre « A l’ombre des panneaux solaires ?
Romain : Le sujet de l’ombre venait rapidement sur les terrains que j’ai fait, et directement associés au sujet du réchauffement climatique.
L : Tu expliques que des industriels de l’énergie se sont rapprochés des agroforestiers.
R : Ce n’est pas une hypothèse que j’ai pu vérifier, mais que j’ai posée par déduction parce que l’INRAE a été un fer de lance et s’est alliée avec un développeur énergétique, et c’est un chercheur spécialisé sur l’agroforesterie qui est devenu « Le » scientifique français avec une majuscule sur la question agrivoltaïque. Puisque c’est à travers ce projet de recherche et ce scientifique qu’a été fixé le terme agrivoltaïque à travers un article en 2011. C’est une déduction qui est basé sur le profil du chercheur et les publications qu’il y a derrière. On va faire plusieurs thèses sur les effets de l’ombre sur tels types de cultures, etc..
L : Sur le terrain quel est l’argumentaire des développeurs ?
R : J’ai pu identifié quatre types de leviers argumentaires principaux. Le premier c’est celui de la « climatisation de l’agriculture », c’est à dire que face aux enjeux de changements climatiques, les panneaux sont une source de protection et deviennent un outil de régulation de la culture. Le second levier argumentaire fait face aux critiques quant à l’accès au foncier agricole -que permet l’agrivoltaïsme au final, celui de déployer des panneaux photovoltaïque au nom de la transition énergétique . Il y a donc une technique de « relativisation scalaire ». C’est dire que c’est des petites surfaces qui sont concernées et qu’au final si l’on déploie des panneaux à plusieurs endroits sur des petites surfaces, cela permet au final de contribuer à une échelle plus globale à la transition climatique. Cela revient à dire « on déploie des petits projets pour un gain fort à une plus grosse échelle ».
L : On dirait du « Colibri »…
R: Et un troisième levier concerne les sources de revenus. Certains développeurs sont prudents et disent que les agriculteurs vont juste récupérer les bienfaits agronomiques des panneaux…
L : .. sauf que Sun’ agri et Nogier, qui se réclament de cet argumentaire, disent qu’ils sont là pour rendre un service, et que les services cela ne se monnaye pas, et que du coup ils sont contre la location des terres afin de ne pas déstabiliser le foncier. Mais en fait ils contournent ça, parce que de fait ils deviennent propriétaires de terres comme dans les Pyrénées-Orientales, mais aussi parce qu’ils poussent très clairement l’agriculteur à l’investissement dans ces projets afin qu’ils puissent retirer des bénéfices de la vente de l’électricité et à être actionnaire et, même on va l’aider à s’endetter pour être investisseur, tel qu’il l’écrit dans son initiative « Cultivons demain ! » en novembre 2020… Bref, tu parles aussi d’un quatrième type d’argument ?
R: Y ‘a une autre partie des développeurs pour qui la stratégie c’est d’aller vers ses « mauvaises terres » sans que personne ne sache ce que cela veut dire. On connaît les enjeux de transmission des exploitations et des difficultés économiques de certaines, donc ils ciblent ses zones géographiques avec un argumentaire très fort en disant « on vous loue le dessus de vos terres, on ne loue pas vos terres, on ne loue que le dessus, vous continuez à faire votre exploitation en dessous et vous recevez en contre-partie une rémunération face à cette installation des panneaux ». C’est un prospecteur qui me dit en entretien « j’ai travaillé ma phrase et je dis « on va vous louer le volume d’air au-dessus de votre parcelle pendant trente ans et on va vous donner jusqu’à mille euros hectares. Quand je dis 1000 euros par hectare, ça ouvre plein de petits tiroirs ».
L : C’est étonnant ce « dessus/dessous » et ce rapport à ce qui nous entoure et comment les développeurs le présentent. C’est assez magique, y ‘a un coup de génie en disant « vous c’est la terre, vous êtes des terriens, et nous -y’ a ce côté comme des colons qui arrivent par les airs – on a le dessus. Mais vous ne le saviez pas, mais le dessus il était à vous en fait. Vous le saviez pas mais cela vous appartenait le dessus, mais comme on est bons princes, on vous le loue, on vous donne de la tune pour quelque chose que vous n’utilisiez pas jusqu’alors. Vous saviez pas que l’air au dessus de vous était à vous ? Ce qui en fait factuellement est faux. Et donc cela il y’ a ce coup de génie d’appropriation d’un commun, qu’ils veulent industrialiser.
R: Cela correspond à l’opération de détachement et d’ harnacher les champs. A la base je reprend des travaux d’Alain Nadaï de 2020 sur la mise en tension du vent, qui, pareil, est un commun, et à travers l’éolien devient électrique et économique. Lui cite 5 opération d’ harnachage du vent. Pour l’agrivoltaïsme, il y a une première opération qui est celle d’enraciner, planter la structure des panneaux. Deuxième opération qui est celle du détachement du dessus, donc de ce volume d’air, du dessous. Et donc l’ombre devient l’interface entre les deux, et là se joue la cohabitation sociale, la cohabitation économique et agronomique de deux types de production. Et c’est par cette opération de détachement que l’agriculteur peut percevoir un revenu.
C’est pas pour rien que certains développeurs n’appellent plus « panneaux photovoltaïques » leurs projets mais « ombrière ». Et c’est différent d’une agriculture qui va faire un hangar avec un panneau sur son toit. Là la technique photovoltaïque devient un outil de production.
L : Cette négociation de l’ombre mais dans l’ombre au final, cela me fait penser à l’évolution réglementaire de 2020 lorsque les ombrières apparaissent et sont décrites comme créant un espace abrité et ne produisant pas principalement de l’électricité…
R : …on pourrait dire que l’ombre, en plus d’être une interface économique, sociologique, est une interface politique et réglementaire, entre les politiques publiques de l’urbanisme qui encadrent et cette innovation, puisque un des grand enjeu est d’installer des panneaux sur des terres agricoles et à partir du moment où l’on dit que les panneaux ne sont plus là pour produire de l’électricité mais sont un support, un outil de production et que c’est l’agriculture qui doit primer dans la loi etc… en fait tout de suite cela permet aux collectivités, aux services instructeurs décentralisés de l’État, de dire que ce projet là peut s’installer sur une surface agricole puisque l’agriculture prime, etc…
