Dans la mare aux lobbys photovoltaïques et agrivoltaïques

 

 

Extrait du dossier « Dans la gadoue agrivoltée »juin 2023

 

Un agenda politique au service d’une stratégie industrielle

 

Dès 2020 Macron fixe comme objectif la production de 100 GW de PV d’ici 20501

 

Mais c’est lors de la présentation de la stratégie Energie 2050 à Belfort le 10 février 2022 que Macron légitime l’agrivoltaïsme. Il affirme que « nous avons pris du retard. Le solaire, parce qu’il est moins cher et qu’il s’intègre plus facilement dans le paysage, fera donc l’objet d’un effort particulier. D’ici 2050, nous multiplierons par près de dix la puissance installée pour dépasser 100 gigawatts en veillant à un juste équilibre entre les installations en toiture et celles au sol ». En harmonie avec les agro industriel du secteur il explique que « si nous développons les projets dans l’agrivoltaïsme, dont nous sommes en train de finaliser les règles, et qui seront une source de revenus complémentaires pour nos agriculteurs, nous avons la capacité de déployer ces projets de manière harmonieuse » 2

Le 14 février, le lobby France Agrivoltaïsme se félicite que « l’agrivoltaïsme [devienne] un nouveau pilier de la stratégie solaire française ». « Une belle consécration » jubile Antoine Nogier, Président de France Agrivoltaïsme, avant d’ajouter que « cette première étape doit maintenant être confirmée par des adaptations réglementaires et législatives qui garantissent le développement d’une filière équitable, responsable et durable » 3

Il ne sera pas déçu par la suite.

Même son de cloche du côté d’Enerplan pour qui « le discours du Président de la République marque une étape importante ; c’est la reconnaissance par la plus haute autorité de l’État du rôle prépondérant du solaire dans la transition énergétique décarbonée ». Malicieux, Daniel Bour son président ajoute que « l’objectif d’au moins 100 GW de puissance solaire installée à l’horizon 2050 est en ligne avec le programme 2050 d’Enerplan qui sera publié courant mars ». 4

Le 20 avril 2022, lors du débat de l’entre deux tours de la présidentielle, Macron prône « le développement du « petit solaire », de l’« agrivoltaïsme raisonné »5

Après des mois de retard, le 27 avril 2022 l’ADEME publie son rapport qui légitime ce concept marketing.6

Revenons encore un peu au Parlement avec Anne-Laurence Petel, députée renaissance qui défend plusieurs amendements écrits avec Voltalia – « cet industriel à la campagne »7, qui est la branche énergie renouvelable de la famille Mulliez, et qui sur le Causse Comtal, vient détruire 75 hectares dans la zone majeure de biodiversité du centre ouest Aveyron. Solennelle, elle clame que « par cet amendement d’appel, nous interpellons le Gouvernement sur la nécessité de rassurer les acteurs de l’agrivoltaïsme quant à la signification à donner au mot « parcelle » pour l’application de la loi. »

Et Bothorel de lui répondre « Merci de nous apporter un peu de soleil, chère collègue, vous qui défendez l’agriculture du Sud ; je note d’ailleurs que vous citez Voltalia dans l’exposé sommaire de votre amendement ». Rebelote quelques minutes plus tard où elle défend la présence des multinationales dans les CDPENAF : « il me semble important ensuite de préciser que le pétitionnaire, c’est-à-dire chaque porteur de projet, peut être entendu par la CDPENAF : je souhaite qu’il soit reçu et qu’il puisse expliquer son projet pour en clarifier certaines observations. La CDPENAF, j’y insiste, est reconnue dans la profession agricole, et le dialogue qui pourra s’y nouer permettra d’apaiser les débats autour de l’agrivoltaïsme ».

Pis elle se fait plus franche du collier « j’insiste sur l’importance de travailler à la définition d’un bail agrivoltaïque ». Et en effet son amendement écrit par deux entreprises du lobby France Agrivoltaïsme vaut le détour : « travaillé avec les sociétés Voltalia et Ombrea, cet amendement vise à appeler l’attention sur la nécessité de créer un bail agrivoltaïque pour encadrer le développement de cette activité et sécuriser les acteurs concernés, notamment pour tout ce qui concerne les conditions contractuelles d’exploitation. Cette demande des acteurs de la filière me semble appeler des travaux plus approfondis».

 


 

« France Agrivoltaïsme, agnostique en technologie »

 

Nogier, dirigeant de Sun’ Agri et du lobby France Agrivoltaïsme, s’allie dès 2010 avec Dupraz de l’INRAE et mobilise 7 labos de cette institution, 14 chercheurs, et 25 millions d’euros durant une dizaine d’années. Dupraz, lors d’une conférence en 2022 auprès de la FNAB, se félicite de « l’avance française dans les recherches en agrivoltaïsme grâce à l’INRAE [qui travaille sur] l’agrivoltaisme dynamique, les études agronomiques au champ sous dispositifs réels (3 thèses soutenues + 4 thèses en cours), les études écophysiologiques en milieu contrôlé (impacts de l’ombre), les prototypes exclusifs » se vante des « 4 partenaires industriels au moins : Sun’R, EDF Renouvelables, Photosol, EngieGreen » de l’INRAE 8

Sun’agri (ou Sun’R), dans se partenariat synergique peut alors se lancer dans son « programme 3 », subventionné par l’Ademe avec 7 millions d’euros, visant à « la construction de démonstrateur à échelle commerciale et à la mise en place d’une unité de recherche agronomique dédiée à l’agrivoltaïsme [ainsiqu’à] l’établissement de normes relatives à cette discipline entièrement nouvelle ».

Une dynamique qui se termine en fanfare par le rachat de Sun’R par Eiffage fin 2022, et par le vote de la loi en 2023 qui lui ouvre un boulevard.

 

« un agrivoltaïsme équitable »

Revenons en arrière, au 9 juin 2021, alors que le rapport de l’ADEME est déjà écrit, et sera publié quelques semaines plus tard. Apparaît alors le lobby France Agrivoltaïsme « une association agnostique en technologie » qui promeut « agrivoltaïsme équitable et responsable en plaçant l’agriculture au cœur des projets » explique le Max Havelaard du panneaux métalliques connectés. Pragmatique ce lobby souhaite tout de même « permettre l’industrialisation de l’agrivoltaïsme de culture en l’intégrant aux appels d’offres «Bâtiment» de la CRE ».

Et c’est par œcuménisme que ces prêtres prêchent la valorisation de « toutes les technologies qui servent significativement l’agriculture ».9 D’ailleurs Antoine Nogier, président de ce lobby, déclare qu’il n’est « pas de ceux qui pensent que les systèmes connectés, la technologie sont l’ennemi de l’agriculture. Il y a autant de systèmes agricoles que d’agriculteurs. Tout le monde a le droit de faire des choix différents ». La tolérance, y a que ça de vrai. 10 Pis tant qu’à faire, cette « association de promotion et de défense de l’agrivoltaïsme [regroupe] les filières énergétique, agricole et agroalimentaire, le monde académique ainsi que les secteurs financier et assurantiel » 11

En passant, et alors même que France Agrivoltaïsme porte comme « critère majeur l’acceptabilité sociétale »12Sun’ Agri, impose son projet à Terrats, un petit village des P-O, via un Recours gracieux suite à aux votes unanimes des élu.es contre lui…13

Mais Antoine Nogier et sa bande n’en ont que faire, et susurrent aux oreilles des décideurs : « la France est le porte étendard de cette technologie de pointe (…) notre premier objectif vise à sensibiliser les pouvoirs publics sur la nécessité de maintenir une ambition forte des mécanismes de soutien à l’agrivoltaïsme, notamment dans le cadre des appels d’offres de la CRE et des aides à l’agriculture, en particulier celles du Plan de relance pour l’adaptation de l’agriculture aux changements climatiques » 14 Parmi ses réalisations, cette association met en avant sa « contribution à l’élaboration de signes de reconnaissance du Label agrivoltaïsme Culture classe A et du Label agrivoltaïsme Elevage ».15

Quelques semaines après la naissance de ce lobby, le rapport de l’ADEME est publié et légitime ce terme marketing inventé par Sun’ Agri et Dupraz (corédacteur du rapport en question). France Agrivoltaïsme jubile : « à la suite de cette publication, France Agrivoltaïsme se félicite notamment de la distinction claire qui est faite entre “service” et “cohabitation”. Selon l’association créée en 2021 pour promouvoir l’agrivoltaïsme, la définition proposée par l’Ademe est cohérente avec celle qu’elle a elle-même retenue, qui définit l’agrivoltaïsme comme l’ensemble des techniques de protection et de régulation agro-climatique d’activités agricoles, qui produisent à titre secondaire de l’électricité photovoltaïque ».

C’est donc en toute logique qu’ ils se félicitent que « la définition est également en accord avec la “classe A” du label Afnor, qui caractérise les projets qui améliorent durablement la performance agricole de la parcelle et de l’exploitation. France Agrivoltaïsme participe d’ailleurs aux travaux d’extension de ce label à l’élevage » .16

Jetons un œil au Plan Solaire Agricole 2050 auquel France Agrivoltaïsme contribue et qui a pour but, selon cette association, de « servir l’agriculture et permet de dépasser les objectifs de transition énergétique ». Alors que le document de présentation de ce lobby date d’ août 2022, soit à peine quelques mois avant que la loi ne soit débattue, ce lobby regrette que « l’absence de définition législative [soit] un frein au développement de l’agrivoltaïsme ». France Agrivoltaïsme met en avant la nécessité de développer 80 GW d’ agrivoltaïsme répartis sur 30 000 exploitations elle présente la seconde catégorie de projets qu’elle nomme « projets au sol, de territoire (…) des centrales de grande taille unitaire (> 200MW) à développer sur des parcelles qui n’ont aucun potentiel agronomique ou forestier » et qui concernerait 20 GW.

Après le moulinage parlementaire, cette seconde catégorie de projet PV correspond aux attentes de ce lobby et doit recevoir l’approbation des « commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers, des organisations professionnelles intéressées et des collectivités territoriales concernées » qui établissent « un document-cadre sur proposition de la chambre départementale d’agriculture pour le département concerné. Seuls peuvent être identifiés au sein de ces surfaces des sols réputés incultes ou non exploités depuis une durée minimale » qui sera définie dans un Décret à venir.

 


Copiés-collés parlementaires

 

Et parmi les revendications de ce lobby formulée en août 2022, il y a l’inscription de « la définition de l’agrivoltaïsme dans l’article L 311-1 du code rural dans un second alinéa ». En un pur copié-collé de l’ADEME (ou vice-versa) la bande à Nogier souhaite que soient « réputées agricoles les activités agrivoltaïques, qui associent, sur une même surface de parcelle, un système photovoltaïque dont les modules sont situés sur une même parcelle qu’une production agricole, existante ou à créer, et qui l’influencent en apportant directement l’un au moins des services suivants : adaptation au changement climatique, accès à une protection contre les aléas, amélioration du bien-être animal ou encore, un service agronomique précis pour les besoins des cultures. »

Quelques semaines plus tard, dans la loi à l’Article.314-36.-1, cela donne qu’ « une installation agrivoltaïque est une installation de production d’électricité utilisant l’énergie radiative du soleil et dont les modules sont situés sur une parcelle agricole » et qu’il « est considérée comme agrivoltaïque une installation qui apporte directement à la parcelle agricole au moins l’un des services suivants (…) 1° L’amélioration du potentiel et de l’impact agronomiques ; 2° L’adaptation au changement climatique ; 3° La protection contre les aléas ; 4° L’amélioration du bien-être animal.»

Et vu que selon la définition portée Nogier and Co. « l’installation agrivoltaïque n’induit pas de dégradation importante de la production agricole, ni de diminution des revenus issus de celle-ci [et que] l’installation agrivoltaïque se doit d’assurer sa vocation agricole ainsi qu’une activité agricole pérenne », et vu que dans la même veine, l’ADEME avait déjà formulé une année auparavant qu’une installation agrivoltaïque ne devait pas « induire ni dégradation importante de la production agricole (qualitative et quantitative) ni diminution des revenus issus de la production agricole », c’est en toute logique que les parlementaires ont écrit dans la loi que les modules agrivoltaïques « contribuent durablement à l’installation, au maintien ou au développement d’une production agricole (…) en garantissant à un agriculteur actif (…) une production agricole significative et un revenu durable en étant issu ».

D’ailleurs, la député macroniste Sandrine Le Feur, autrice de la mission flash sur l’agrivoltaïsme avait tenté de préciser ce que signifie à son sens « une production agricole significative » : « si, en ce qui concerne les plantations, la production électrique peut, dans certains cas, conduire à une légère baisse de rendement culturaux du fait de la réduction de l’apport lumineux, la production agricole doit être significative ». 17

Qu’en dira le décret d’application en cours d’écriture ?

 


Cultivons demain !

 

Cette initiative est lancée en novembre 2020 par Antoine Nogier et vise à « protéger 2.000 hectares de champs de la fournaise solaire » 18

sur 300 exploitations du sud de la France. « Les agriculteurs qui aujourd’hui s’engagent avec nous sont souvent des agriculteurs qu’on appelle « pionniers » dans le sens où ils ont une appétence pour ces technologies innovantes et la volonté de protéger l’avenir de leur exploitation » précise Nogier. 19

S’il dispose déjà de 200 millions d’engagements en fonds propres, il rêve de lever 1 milliard d’euros sur cinq ans grâce au soutien du Crédit Agricole et de bpifrance, Les Echos précisent que « Sun’Agri dispose d’un autre atout : ce printemps, l’entreprise a été retenue avec plus de 75 % des volumes proposés par l’appel d’offres « solaire photovoltaïque innovant » de la Commission de régulation de l’énergie ». C’est pourquoi « si les financements publics sont nécessaires pour le développement de nouvelles technologies de production d’énergie verte, une fois mâtures, c’est le rôle des investisseurs privés de prendre le relais », commente Nicolas Rochon, Président-fondateur d’RGReen invest qui a créé le Fond Racines pour l’occasion.20

Ambroise Fayolle, Vice-Président de la Banque européenne d’investissement (BEI) déclare qu’en: « tant que banque européenne du climat, il est de notre responsabilité de soutenir des projets innovants qui contribuent à atténuer les effets du changement climatique dans des secteurs clefs de l’économie comme l’agriculture ».

Nogier, ému, ressort alors sa litanie qu’il accompagne de quelques larmes de crocodiles : « avec le réchauffement climatique, les plantations stressent et souffrent de plus en plus. Les persiennes agricoles sont une solution, mais leur installation coûte cher : souvent plusieurs millions d’euros. La revente d’énergie solaire permet de rembourser les emprunts, mais il faut un amorçage en fonds propres souvent hors de portée des exploitants agricoles ».

A ce prix là, 1 millions d’euros par projet, ou 800 000 par hectare, on se demande pourquoi ce ne sont pas les toitures et espaces déjà artificialisés dans lesquels ce milliard d’euros pourrait être investi.

Mais quant à l’impact de ces projets, Nogier s’inscrit ouvertement dans l’industrialisation de l’agriculture des dernières décennies « si on regarde le paysage il y a des années ; par exemple, en arboriculture : il y a 30 ou 40 ans, les vergers n’étaient pas équipés des filets que l’on voit aujourd’hui. Les arbres sont protégés des nuisibles, des insectes et des oiseaux, ce qui protège aussi les agriculteurs de perte de récoltes.

Il va falloir trouver des solutions de compromis pour essayer de s’adapter et donc les paysages vont encore être amenés à changer ». Et en termes de compromis, Nogier en a trouvé un en informatisant les parcelles qui sont « pilotées à partir d’algorithmes conçus sur mesure selon les besoins de la plante, de leur modèle de croissance ou encore des conditions météorologiques, les persiennes s’inclinent en fonction des nécessités d’ensoleillement ou d’ombrage, et des températures (gel, etc.) »21

C’est aussi les rémunérations des agriculteurs qui vont changer. Car si le François d’Assise de l’agrivoltaïsme déclare « que l’on veut que l’agriculteur soit l’investisseur. Nous c’est un service que l’on rend à l’agriculteur, vous payez pas pour un service », deux ans plus tôt il se faisait plus précis : « les projets sont faits avec, par et pour les agriculteurs. Nous souhaitons impérativement que l’agriculteur puisse aussi bénéficier des fruits des revenus électriques ».

Et de quelques dettes éventuelles : « nous pourrons trouver [pour l’agriculteur] le complément en fonds propre et en dette ». Ce visionnaire planifie alors « le déploiement annuel des projets, tout va dépendre de l’ampleur du changement climatique. On pourrait penser à des milliers d’hectares de terres agricoles annuels qui pourraient être équipés annuellement avec une remontée progressive vers des exploitations situées plus au nord ou sur la façade atlantique qui va être de plus en plus touchée ».

Et en 2020 au sud, c’est Bénédicte Martin, Présidente de la Commission Agriculture, Viticulture, Ruralité, Forêt, de la Région SUD PACA et André Bernard, Président de la Chambre Régionale d’Agriculture PACA qui s’affichent aux côtés de Nogier.


 La Plateforme Verte

Lorsque France Agrivoltaïsme est crée, Nogier fait quelques remerciements d’usage :

« la Commission de régulation de l’énergie (CRE) a contribué depuis 2019 à l’essor de cette solution en désignant dans le cadre d’appels d’offres une centaine de projets agrivoltaïques ». En outre en parallèle, « l’Ademe a effectué des travaux pour définir l’agrivoltaïsme ; la Plateforme Verte a un groupe de travail sur les bonnes pratiques dans l’agrivoltaïsme ; et enfin l’initiative Cultivons Demain ! a été lancée en novembre 2020. » 22

Cette « Plateforme Verte »23, une « association professionnelle dédiée à la transition énergétique créée en 2018 par Sylvie Perrin, avocate associée au sein du cabinet De Gaulle Fleurance et Associés », a été auditionnée par les députés auteurs de la Mission Flash sur le sujet.

Et justement cette Plateforme Verte, qui a écrit une Charte sur l’agrivoltaïsme24, salue ces 2 députés : « les signataires entendent favoriser une juste répartition des revenus de la centrale, dans une proportion réservée principalement au propriétaire et à l’exploitant, et pour une partie à un collectif agricole territorial (coopérative, GUFA, fonds de dotation spécial, etc.) conformément aux recommandations de la mission flash de l’Assemblée Nationale ».

De façon prévisible les signataires « adhèrent à la définition de l’agrivoltaïsme par l’Ademe, collectivement avec les FNSEA JA Chambres d’Agriculture France (doctrine avril 2022) souhaitant inclure également les serres ». Pis bons princes les signataires considèrent l’agrivoltaïsme « avant tout comme un outil devant rendre service à l’agriculture et à la collectivité », et, pour ces âmes délicates et subtiles « chaque projet sera conçu comme un projet agricole et de territoire et s’intégrant avec cohérence dans l’économie agricole locale ».

Chacun pourra constater que parmi les signataires, nombreux sont ceux qui rendent service à la collectivité, s’intègrent avec cohérence dans l’économie agricole locale : ABO WIND, AMARENCO, BORALEX, CNR , CVE, DAVELE, DEV’ENR , DVP Solar , EDR , ELEMENTS, ENOE M., ETHERENERGY , FFPA , GREENYELLOW, HARMONY ENERGY, JPEE, LOCOGEN , LIGHTSOURCE BP, NARASOLAR , Groupe Okwind, OPALE , PHOTOSOL , QAIR , Q ENERGY , SMEG, SOLVEO ENERGIES, SUN’AGRI, TAGENERGY , TENERGIE,
TERR.A , TSE , VERSO ENERGY, VOLTALIA.

Si l’on ne prend que la branche énergie de la famille Mulliez, Voltalia quant à leur projet sur le Causse Comtal en Aveyron25, l’on peut dire qu’ils favorisent une juste répartition des revenus de la centrale puisqu’ils déclarent publiquement aider le Comte de La Panouse (le propriétaire du zoo de Thoiry) à restaurer son château du Colombier. Et ils rendent tellement service à la collectivité, et s’accordent si bien au territoire que la commune a voté deux fois contre leur projet de destruction de 60 hectares de la zone majeure de biodiversité du Centre-Ouest Aveyron, sur un Causse empli de dolmens et qui fut la prime source d’inspiration du peintre Soulage. Trois députés aveyronnais, La Chambre d’agriculture, l’OFB, les services de la DREAL, la DDT, et 56 orgas locales régionales et nationales ainsi que 24 000 signataires d’une pétition s’ y opposent aussi. En somme sur le Causse Comtal- et ailleurs, tout le monde déteste Voltalia !26

JPEE avait eu la même idée que Voltalia, sur la même commune, avant que la mobilisation ne le fasse partir.

Antoine Nogier et Sun’ agri achètent des terres au dépend de jeune agriculteur dans les P-O.27 Quant à Photosol et à son projet refusé par la préfecture du Lot 28et au 400 hectares de projet de TSE sur la commune de Mauroux, leur projets sont accueillis à bras ouverts par toutes les collectivités, c’est évident.


 

Christian Dupraz, l’algorithme agrivolté

 

En pleine discussion de la loi dans l’hémicycle, Christian Dupraz, inventeur du terme, publie une tribune dans Le Monde, qui entre dans les débats parlementaires le jour même.

Aurélie Trouvé la prend en contre-exemple « je me demande si vous vous rendez compte de ce vers quoi nous allons. Ce matin, une tribune publiée dans Le Monde par un défenseur de l’agrivoltaïsme prévoyait d’y consacrer jusqu’à 500 000 hectares, sur les 26 millions d’hectares de surface agricole utile. C’est un hectare sur cinquante ! Voilà de quoi nous parlons ».

Ce qui fait immédiatement réagir le rapporteur agrivolté Éric Bothorel « Ce n’est pas nous qui l’avons signée ! », ainsi que la ministre Agnès Pannier-Runacher « La tribune parle de 500 000 hectares ; c’est une chose, mais 100 000 hectares, cela représente à peu près 66 gigawatts. Ce chiffre de 500 000 hectares n’a aucun sens ». Cachons ces lobbys que nous ne saurions voir.

Mais alors que plusieurs rapports de l’ADEME démontrent le contraire29. Dupraz argumente fallacieusement que « les toits bien exposés au sud, les parkings et les friches industrielles ne suffiront pas pour ce nouvel objectif très ambitieux mais nécessaire » et chantonne une comptine aux lecteurs du Monde 30: « Il s’agit de combiner des panneaux photovoltaïques et des cultures agricoles sur les mêmes parcelles, à l’image des systèmes agroforestiers qui associent des arbres et des cultures ».

Tel un bonimenteur sur un marché, il cherche à épater la galerie : « Mais il y a plus fort. Avec un hectare produisant du blé éthanol, on peut faire rouler une voiture environ 22 000 kilomètres. Avec un hectare agrivoltaïque, on peut faire rouler une voiture électrique trois millions de kilomètres. Le rapport est de plus de 100 ! L’explication est simple : le faible rendement de la photosynthèse et du moteur thermique, et l’excellent rendement des panneaux photovoltaïques et des moteurs électriques.

La combinaison de ces rendements donne ce résultat époustouflant ». Pis Dupraz, théâtral, fait mine de s’offusquer : « il est donc irresponsable de continuer à cultiver des plantes alimentaires ou fourragères pour les brûler dans des moteurs thermiques » alors que « 10 000 hectares de systèmes agrivoltaïques sont équivalents à une tranche de centrale nucléaire ». Il ajoute que « certains pays comme les Etats-Unis envisagent déjà des systèmes agrivoltaïques pour alimenter l’ensemble de leur parc automobile converti à l’électrique ».

En bon rhétoricien il avance qu’ il y a « un million d’hectares consacrés aux agrocarburants et qui sont en compétition avec la production alimentaire. Si on remplace ça par de l’électricité agrivoltaïque, on prendra moins de surface et ce sera plus efficace ». Sauf que l’on peut remplacer les hectares d’agrocarburants par de la production alimentaire sans installations industrielles dessus, non ?

Après le vote définitif de la loi le 7 février 2023 Dupraz, ex-élu régional EELV, éructe de joie et lors d’une interview avec l’AFP il avance que « la loi donne un coup de fouet, c’est le tout tout début d’une filière mondiale », et dans son euphorie qui le rend aveugle, il avance que les centrales « c’est quasiment imperceptible dans le paysage ». Qu’il regarde les installations de son copain Nogier dans les Pyrénées-Orientales ? 31

Et alors que le journaliste demande si ces installations font débat, il répond en bon ingénieur en technicisant le débat et oblitère les principales problématiques politiques telle la position de la Conf sur le métier qui n’est pas de produire de l’énergie électrique : « Aujourd’hui, il y a des débats techniques sur où on l’autorise, comment on l’autorise ».32

Dans une conférence intitulée « Agrivoltaisme, définitions, état des lieux et perspectivesAliments ou énergie ? Faut-il choisir ? » du 12 Octobre 2022 auprès de la Fédération nationale d’agriculture biologique il se questionne : « comment produire «en même temps» … plus de nourriture et de l’énergie sur les terres agricoles ? Que faire? » Ce génie trouve enfin la réponse :

 

« Pourquoi ne pas… imiter l’agroforesterie…. et combiner ? ». Et celui qui est dans la combine depuis 12 ans avec Antoine Nogier- patron de Sun’ agri et aujourd’hui de France Agrivoltaïsme, puisqu’ils cosignèrent un article ensemble dans Renewable Energy en 2011 (36 : 2725-2732), dénonce par deux signes « moins » les « centrales classiques au sol où l’agriculture est symbolique avec du pâturage et de l’apiculture » mais aussi « les serres photovoltaïques fermées avec des panneaux fixes dessus » comme celle de Tenergie précise t’il. Il met au contraire en avant le projet de l’INRAE et d’ Engie Green de « haies photovoltaïques » dénommé « Camélia » qui associe pâturage des bovins et production d’énergie.

 

Suite à quoi, auprès des représentants de l’agriculture biologique de France, il like avec trois « +++ » le projet de Sun’ agri et de son copain Nogier sur vigne à Tressere.

Enthousiasmé par « l’accélération mondiale récente des recherches en agrivoltaïsme » et par la « forte participation de 488 participants de 37 pays » du Congrès en Italie (le premier s’est tenu en 2020 à Perpignan), il jubile du « foisonnement d’innovation étonnantes : systèmes pliables, des systèmes mobiles sur luges, systèmes verticaux bi-faciaux, des designs de serres asymétriques, photovoltaïque tubulaire, photovoltaïques organique auto-désintégrants, et tant d’autres ».

Ces innovations étonnantes montrées à la FNAB, les voici en images :


« Risques électriques en présence d’animaux (électro-sensibilité, électrocution) »

Ce fin rhétoricien, tel maître renard devant la FNAB sur un arbre perchée, lui tint ce langage : « si la production agricole est conservée, et si les projets sont entièrement réversibles, il n’y a plus de raison objective liée à la fonction de production agricole de refuser les projets agrivoltaïques sur terres agricoles [d’autant plus qu’] au lieu de faire une centrale PV sur un hectare, il est donc largement préférable de faire une centrale AV [agrivoltaïque] sur 2 ha. On garde la production agricole, et on ajoute la production électrique ». Comme tout bon agrivolté, il cherche à se distinguer des vulgaires centrales au sol, et sert pour cela aux représentants de la FNAB cette image.

Dupraz, cet apprenti-sorcier, parle tout de même « des impacts agronomiques originaux à évaluer » tels les « risques électriques en présence d’animaux (électro-sensibilité, électrocution) » mais rassure tout de suite la galerie car avec les cultures il y aurait « un intérêt du compartimentage avec des panneaux verticaux sur la propagation des maladies des plantes ».

Pis ce grand enfant se fait conteur et tente d’endormir son auditoire avec une fable : « Qui aime l’ombre? La querelle des framboises et des épinards ; Le gang des framboises… (thé, goji, prairies, et bien d’autres) aiment l’ombre ; La tribu de l’épinard (soja, riz, maïs…) est moins enthousiaste ; Certains hésitent … c’est le clan de la pomme (olives, tomates…) ; Les tomates indiennes et européennes ne semblent pas d’accord entre elles ». Morale : « tout ce qui a été dit est valable en conventionnel et en bio [car] l’impact de l’ombre peut-être moins pénalisant sur des cultures bio à productivité réduite ». Et s’il concède qu’il n’ y a « pas de retour d’expérience spécifique en bio pour l’instant », il conclu que « l’agrivoltaisme est totalement compatible avec le bio ». Pour ce visionnaire agrivoltée « le défi de l’agrivoltaisme est de trouver sa place dans les esprits ». Se réjouissant que « l’agrivoltaïsme soit cité dans la stratégie nationale énergétique présentée par le Président Macron », ce démocrate de l’INRAE souhaite « ne pas réserver cette opportunité à une élite ».

Et qu’elle ruisselle ?


« L’accord cadre du consortium »

Le 28 février 2023, soit à peine un mois après le vote de la loi légitimant « l’agrivoltaïsme », les industriels et leurs relais institutionnels s’affichent publiquement et posent joyeusement devant l’objectif. Qu’auraient-ils fait si l’article agrivolté n’avait pas été voté (merci les absents et les abstentionnistes) et la bataille parlementaire gagnée ?

C’est ainsi que l’INRAE officialise un Pôle national de recherche, innovation et enseignement, afin de « créer des connaissances pour maintenir ou améliorer la production agricole, tout en produisant de l’énergie électrique » et invente un nouveau nom au photovoltaïque sur terres agricoles au passage « c’est l’objectif majeur d’INRAE et de ses partenaires en matière d’agriphotovoltaïsme (agriPV). INRAE, un des pionniers dans les recherches sur l’agriPV, accompagne déjà de nombreux projets de recherche en partenariat avec diverses entreprises spécialistes du photovoltaïsme ».

Selon le communiqué « il s’agit d’un consortium qui rassemble aujourd’hui plus d’une trentaine d’unités de recherches des établissements publics de recherche et d’enseignement ainsi que des entreprises des secteurs énergétique et agricole. Par ce protocole d’accord, les partenaires actent leur volonté de signer, dans les six prochains mois, l’accord-cadre du consortium ».

Dans une vraie démarche de recherche scientifique désintéressée des intérêts économiques et portée vers les communs « les signataires s’engagent à mutualiser les coûts et les risques de la recherche, tout en partageant les bénéfices dans la perspective d’un développement durable et vertueux de la technologie photovoltaïque sur les terres agricoles. La démarche scientifique du pôle s’appuiera sur un réseau d’infrastructures, gérées par les partenaires, couvrant un grand nombre de cultures/élevages ainsi que de conditions pédoclimatiques et sociales. Le PNR AgriPV a aussi vocation à contribuer à la formation et à l’appui aux politiques publiques » 33

Le CEA, Agroparitech, EDF, Sun’agri, Total Energie, Voltalia, Photosol, TSE, Valorem, Qair, Ombrea, Solvéo, les Chambres d’agricultures de France… 37 signataires main dans la main pour électrifier les champs. C’est beau comme une fête foraine sur un parking de zone industrielle. 34


Pavoiseries de la FNSEA

Le 19 janvier 2021, la charte de développement du photovoltaïque au sol est signée par la FNSEA, EDF Renouvelables et Les Chambres d’Agriculture de France qui se concertent depuis 2018 « de définir un cadre de bonnes pratiques pour un développement de projets photovoltaïques au sol conciliant la préservation des terres agricoles, la production agricole, l’activité économique de la filière agricole et la lutte contre le réchauffement climatique ».

Même si le mot « agrivoltaïsme » n’était pas encore à la mode puisqu’il n’est pas cité une seule fois, de façon plaisante l’on constate que les grande ligne de cette Charte se retrouve dans la Loi 2 années plus tard. Ainsi le projet photovoltaïque doit être non pas en « synergie »… mais « en complémentarité avec une activité agricole existante ou créée dans le cadre du projet ».

Comme dans la loi Enr une compensation agricole est mise en avant, alors même que selon leur promoteur les projets ne devraient pas attenter à la terre puisqu’ils sont en synergie… Plein d’humour, les signataires prônent une « durée d’exploitation de la centrale ne peut excéder trente-cinq ans, la réversibilité totale de l’installation avec l’utilisation d’ancrages sans béton ou l’engagement de l’opérateur d’enlever les ancrages béton en fin d’exploitation, la remise en état des terrains après démantèlement de l’installation » 35

Le 11 novembre 2022, Christiane Lambert, dirigeante de la FNSEA enfonce le clou dans « les terres improductives » afin d’y installer du photovoltaïque car « il n’y aura jamais rien, ni un JA ni quelqu’un d’autre. Le challenge, c’est de protéger le foncier, mais pas de casser la dynamique [du solaire], donc l’équilibre est ténu »36

Le 21 mars 2023, après le vote de la loi Enr, Olivier Dauger, administrateur et référent climat énergie de la FNSEA, intervient dans les échanges organisés par le Syndicat des Energies Renouvelables (SER) lors de la huitième édition du colloque national photovoltaïque. Doctement il explique que « l’agriculteur est avant tout un entrepreneur et qu’il n’est pas diamétralement opposé au développement de la production d’énergie sur son sol ». Ce fin historien explique que « 20 à 25 % de la surface agricole était dédié à la production d’énergie (à l’époque la traction, par la force des boeufs) il y a 300 ans. Aujourd’hui ce chiffre avoisine les 3 à 4 %. ». Performeur, il ajoute que « ce qui compte c’est le potentiel de la terre – et non la surface ou les revenus. En effet, le potentiel agricole d’une terre est connu en France et la problématique sera de le réaliser, voire de l’augmenter, avec l’agrivoltaïsme ». 37

Le 23 mars 2023, tractés par la force des bœufs, la FNSEA et le SER signent alors un protocole d’accord. L’ex patronne cantalienne de l’agro-industrie surenchérit : « face au double défi de la transition énergétique et du dérèglement climatique qui affecte particulièrement le monde rural (…) le développement (des énergies renouvelables) doit s’accélérer, c’est une opportunité pour le monde agricole ». Et alors que « l’agriculture contribue à produire 20% des énergies renouvelables en France » la FNSEA appelle de ses vœux à « doubler cette production d’ici 2030 et la tripler d’ici 2050 [avec la] méthanisation (biogaz et électricité), biocarburants, solaire.. » -à l’instar des préconisations de l’ADEME pour ce secteur précise t’ elle. Le président du lobby des renouvelables, Jules Nyssen pavoise « [c’est] un signal politique qui dit qu’on peut s’entendre, qu’il n’y a pas d’opposition entre production alimentaire et d’énergie ».38

Et cette source électrifiée qui ruisselle dans les champs, Renaud Muselier, Président de la Région Sud – Provence-Alpes-Côte d’Azur, et Président délégué de Régions de France, la capte, et inaugure le premier lycée agrivoltée : « il n’y a pas de plus grande fierté, ni de plus grand plaisir que celui de penser, de participer et de réaliser des lieux d’éducation au service de notre jeunesse ». 39

Le 31 mai 2023, un communiqué de presse annonce en fanfare que la FNSEA prend la co-présidence de France Agrivoltaïsme40. Aux côtés d’Antoine Nogier, c’est Olivier Dauger qui va se dorer sous les panneaux. Vous savez, c’est lui que le 21 mars 2023, après le vote de la loi Enr, intervient dans les échanges organisés par le Syndicat des Énergies Renouvelables (SER) lors de la huitième édition du colloque national photovoltaïque et expliqua que « l’agriculteur est avant tout un entrepreneur et qu’il n’est pas diamétralement opposé au développement de la production d’énergie sur son sol ». Une grande amitié ne pouvait que se créer avec le start-uper Antoine Nogier qui l’a fait élire « à l’unanimité » : « nous ne serons pas trop de deux » se réjouit ce dernier !

Selon l’explorateur agrivolté Nogier « l’aventure de l’agrivoltaïsme ne fait que commencer [et] et c’est maintenant que tout ce se joue pur construire une filière gagnant-gagnant ».

Et Dauger de déclamer devant les troupes agrivoltées « c’est un défi immense que nous devons relever ensemble, agriculteurs, énergéticiens, technologues ».