IPBES, GIEC, et Photovoltaïque
par Frédéric Malvaud.
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Un nexus est une connexion, généralement là où de multiples éléments se rencontrent.
1. PRESENTATION
Si les rapports du GIEC (acronyme de Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) de l’ONU (Organisation des Nations Unies) ont une couverture médiatique justifiée par les enjeux, il en est malheureusement autrement des rapports de l’IPBES.
Un peu d’histoire est nécessaire pour comprendre. Le GIEC (qui s’occupe du climat) a été créé à l’ONU en 1988. C’est un organisme hybride rassemblant des scientifiques et des Etats (195, presque tous, seuls 2 manquent à l’appel). Ce fonctionnement a été décidé sous pression d’un certain Donald Reagan et d’une certaine Margaret Thatcher, opposée au fait que le GIEC soit une agence de l’ONU, car ils craignaient que celui-ci soit trop indépendant et trop militant…
Ainsi, les scientifiques font des rapports et le « Résumé pour les décideurs » doit être adopté par les Etats, autant dire très contrôlé !
L’IPBES reprend ce mode de fonctionnement. Le sigle IPBES (Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services) n’a pas été traduit en français! Le titre est : Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques.
Il a été créé beaucoup plus tard (on constate ici que la biodiversité est la dernière roue du carrosse planète), en 2012 et est composé de 147 Etats (donc 25% manquent à l’appel et sont enregistrés à l’IPBES comme « Observateurs »).
2. RAPPORT 2019
Son premier rapport (faisant le bilan de l’importance de la crise de la biodiversité) date de 2019. En 2022, un rapport complémentaire explore l’utilisation des espèces sauvages par l’humanité.
Il s’agit effectivement d’une crise majeure, le début potentiel d’une 6ème extinction des espèces. Cette crise a trois caractéristiques : elle se produit à un rythme très rapide, elle est due aux activités humaines, elle connaît une fantastique accélération depuis la naissance du capitalisme industriel.
Il faut ainsi noter dans ce dernier bilan que les taux d’extinction des espèces sont de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de fois supérieurs à ceux des derniers 10 millions d’années.
Le rapport estime qu’1 million d’espèces sont menacées à brève échéance (sur une base de 10 millions) et note une nouvelle accélération du rythme mondial d’extinction depuis 15 ans.
Il faut y ajouter l’effondrement des densités des espèces communes. Un rapport européen de 2014 note ainsi la disparition de 420 millions d’individus d’oiseaux sur une estimation de 2 milliards, soit 20% de perte, en trente ans, de 1980 à 2010. Le rapport Muséum/CNRS oiseaux de 2018 indique une «disparition massive et à une vitesse vertigineuse ». On parle alors d’espèces « disparaissantes » : elles ne sont pas menacées à court terme de disparition mais perdent une part considérable de leurs effectifs. Cela concerne tous les groupes ; ainsi un rapport allemand de 2017 indique 75 à 80% de perte des insectes dans ce pays.
Le rapport indique que les objectifs de la conférence internationale à Aïchi (Japon) en 2010 (Rythme d’appauvrissement des habitats naturels réduits de moitié et état de conservation des espèces amélioré) n’ont pas été atteints et que la situation s’est largement dégradée.
En France, le bilan environnemental 2024 du Ministère de la transition écologique note ainsi :
- 20 % seulement des habitats d’intérêt communautaire présents en France métropolitaine sont dans un état favorable sur la période 2013-2018.
- 41 % des sites humides étudiés ont vu leur état se dégrader entre 2010 et 2020.
- entre 1989 et 2023, les populations d’oiseaux communs spécialistes des milieux agricoles et des milieux bâtis ont baissé de 44 % et celles des milieux forestiers de 5 %. Entre 2006 et 2021, la population des chauves-souris les plus communes a diminué de 43 %.
- Près de 60 000 hectares de prairies, pelouses et pâturages naturels ont été perdus par artificialisation entre 1990 et 2018. Les pratiques agricoles intensives de même que la déprise agricole et la fermeture des espaces ouverts menacent la biodiversité.
Les grandes causes de cet effondrement.
Elles sont bien identifiées: le changement d’utilisation des sols (Ainsi 85% des zones humides ont disparu sur la planète), le réchauffement climatique, l’exploitation intensive des ressources (chasse, bois, pêche, extraction minière), les pollutions, les espèces invasives.
Les conséquences.
Elles sont aussi bien identifiées par les scientifiques :
– conséquences pour l’alimentation des humains : dans le rapport 2018 de la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) on note que 75% des cultures mondiales dépendent directement de la pollinisation, c’est-à-dire de l’état de la biodiversité. De même la limitation de la biodiversité génétique des plantes et des animaux d’élevage constitue un autre risque majeur. Il faut se rappeler par exemple que les fourmis améliorent les récoltes de blé dans les régions arides de 35% grâce aux tunnels qu’elles creusent dans le sol et qui facilitent l’infiltration d’eau, et elles protègent les plantes des moisissures. Sont remis en cause aussi la productivité des océans, l’état et la fertilité des sols (effondrement de la micro faune, remise en cause du cycle de recomposition).
– conséquences sur l’état de l’air
– conséquences sur l’état de la ressource en eau potable (capacité d’absorption des polluants).
– conséquences sur la capacité de réponse au réchauffement climatique. Ainsi, les milieux naturels absorbent 60% des gaz à effet de serre produits par l’humanité. C’est un cercle vicieux : le réchauffement climatique induit la perte de biodiversité qui elle-même aggrave le réchauffement climatique. Cela réduit les possibilités pour les humains de résister à ses impacts (voir la disparition des mangroves et le rôle des coraux dans la protection naturelle du littoral face aux tempêtes).
– conséquences sur l’état des ressources : ainsi, 2 milliards d’hommes et femmes dépendent du bois pour leurs besoins énergétiques ; 4 milliards dépendant des plantes pour leur santé.
On réduit ainsi la boîte à outils à disposition de l’humanité pour réagir. Les récents travaux scientifiques indiquent une corrélation entre diminution de la biodiversité et réduction des services écologiques (production de biomasse, capacités à décomposer/recycler). Des travaux récents montrent une relation importante entre le nombre d’espèces végétales, la productivité et la durabilité de l’écosystème et ses capacités de reconstitution.
Pour les humains, sont affectés le rendement des cultures, la production de bois, la résistance aux pathogènes dans les cultures, la réduction du contrôle biologique (prédation), la diminution de la pollinisation. On constate que 50% de l’économie mondiale repose sur le fonctionnement des écosystèmes. En fait 100% si on compte la chimie de l’atmosphère, le cycle du carbone et de l’eau, celui des nutriments, la formation des sols.
Mais la perte de biodiversité conduit aussi à la perte de l’adaptabilité, la perte des possibles. Une espèce disparue qui existait grâce à l’interaction avec les autres a peut-être la clé de la survie de l’espèce humaine face aux chocs des changements dans la biosphère (qu’ils soient imputables aux humains ou pas). Ainsi, c’est une adaptation probablement sans importance à l’époque (diverticule respiratoire dans les os de certains dinosaures) qui a permis à certains dinosaures (les oiseaux) de survivre à la 5ème crise d’extinction et leur permettra une fantastique diversification lors des épisodes géologiques suivants. La baisse de la biodiversité, c’est l’augmentation de l’imprévisible.
Et cela va trop vite pour permettre la reconstitution des fonctionnalités des écosystèmes. L’ensemble de ces éléments portent le nom de « services éco-systémiques de la nature à l’homme » (voir le nom IPBES).
Mais aujourd’hui les travaux scientifiques disent de plus en plus ouvertement qu’il faut aller plus loin et on parle de « contribution de la nature aux sociétés » dans le rapport de 2019 ; on a élargi ces services aux dimensions culturelles et sociales : impacts de l’effondrement de la biodiversité nettement plus élevé sur les plus pauvres, accroissements des inégalités, conflits, guerres qui empêchent les sociétés de réagir.
Une phrase du rapport est symbolique : « La biodiversité est au cœur de notre survie, mais aussi de nos cultures, de nos identités et de notre joie de vivre ».
Il faut noter que le rapport de l’IPBES indique que le changement ne peut se faire qu’ « au prix de la transformation des facteurs économiques, sociaux, politiques et technologiques »…bref, la sortie du capitalisme ! Il souhaite des « réformes fondamentales des systèmes financier et économique mondiaux » au profit d’une « économie durable ». Sont ciblés concrètement dans le rapport : l’agriculture intensive, la pêche industrielle, l’exploitation forestière et minière.
3. RAPPORT GIEC – IPBES
Plus remarquable est la parution d’un « Rapport d’atelier » commun entre le GIEC et l’IPBES en 2021. L’avertissement en tête de ce rapport indique que « Le coparrainage du GIEC et de l’IPBES ne signifie pas que ceux-ci certifient ou approuvent ce compte-rendu et les recommandations et conclusions qu’il contient. Les documents présentés à l’Atelier/Réunion d’Experts et le compte-rendu de ces travaux n’ont pas été soumis à l’examen du GIEC et de l’IPBES. »
En langage pour tout le monde, cela veut dire que les scientifiques sont passés outre du contrôle des Etats pour alerter sur la nécessité de prendre en compte à même niveau la crise climatique et la crise de la biodiversité. Ne cherchez pas ce rapport en français sur les sites officiels du ministère de l’Ecologie. Il n’a été traduit en français que par des ONG…
Alors que constate ce rapport scientifique « confidentiel » des deux organismes?
D’abord que parmi les diverses causes de l’effondrement de la biodiversité (changement d’utilisation des sols, exploitation intensive des ressources, pollutions, espèces invasives), le réchauffement climatique figure en bonne place.
Le rapport note ainsi que « Même à 1,5 °C, les conditions de vie vont changer au-delà de la capacité de certains organismes à s’adapter ». Des écosystèmes sont plus menacés que d’autres comme les récifs coralliens et des espèces plus en danger que d’autres comme toutes celles vivant près des pôles, là ou l’impact du réchauffement est de trois à cinq fois plus fort que sur le reste de la planète.
Cette prise de conscience conduit les auteurs du rapport commun IPBES/GIEC à insister sur l’importance de cesser la destruction des écosystèmes qui stockent le carbone, en particulier « les forêts, les zones humides, les tourbières, les pâturages, les savanes, les mangroves ou les eaux profondes ».
Ils estiment que diminuer la déforestation pourrait faire baisser de 10% les émissions mondiales de CO² liées aux activités humaines.
Ils mettent aussi en avant l’importance de restaurer les écosystèmes dégradés qui est une solution « parmi les moins chères et les plus faciles à mettre en œuvre ». Cela permettrait ainsi de « recréer des habitats pour les animaux et les plantes, contenir les inondations, limiter l’érosion des sols, permettre la pollinisation ».
Ils notent l’urgence de réformer en profondeur le système agricole par l’agroécologie et l’agroforesterie en diversifiant les espèces végétales et forestières, à la fois pour agir sur le dérèglement climatique et sur l’érosion de la biodiversité. Ils remettent en cause les plantations d’espèces d’arbres exotiques, présentées comme solution pour le climat alors qu’elles sont plus sensibles au changement de celui-ci et aux parasites et très négatives pour la biodiversité.
Ils critiquent l’impasse des bioénergies, qui, pour maintenir la consommation actuelle d’énergie, sacrifient la biodiversité et mobilisent les terres au détriment des besoins en alimentation pour les populations.
Que conclure de tout cela ?
Préserver la biodiversité constitue un des meilleurs outils pour améliorer notre capacité de réponse au réchauffement climatique. Il faut en effet rappeler que les milieux naturels absorbent 50 à 60% des gaz à effet de serre produits par l’humanité. Le meilleur système de stockage de carbone, c’est la biodiversité, pas les délires technologiques de captation artificielle du carbone vanté par des apprentis sorciers qui rêvent surtout des dollars qui les accompagneraient.
C’est un cercle vicieux : le réchauffement climatique induit la perte de biodiversité qui elle-même aggrave le réchauffement climatique. Cela réduit les possibilités pour les humains de résister à ses impacts (voir la disparition des mangroves et le rôle des coraux dans la protection naturelle du littoral face aux tempêtes).
Il faut avoir en tête aussi la perte de la couverture forestière : il reste seulement 54% du niveau préhistorique depuis le néolithique.
Le changement climatique et l’érosion de la biodiversité sont à traiter ensemble. Ils s’amplifient l’un et l’autre, leurs impacts se cumulent, certaines causes sont communes, nos capacités d’atténuation et d’adaptation dépendent de l’un et de l’autre.
En conclusion de ce rapport on peut y lire : « Le renforcement mutuel du changement climatique et de la perte de biodiversité signifie qu’une résolution satisfaisante d’un des deux problèmes nécessite la prise en compte de l’autre. Certaines actions proposées telles que le boisement à grande échelle ou les plantations bioénergétiques peuvent violer un principe important des solutions basées sur la nature – à savoir qu’elles devraient fournir simultanément des avantages pour le bien-être humain et la biodiversité. Les impacts négatifs résultent généralement de la compétition pour l’espace – y compris le déplacement d’autres utilisations des terres localement ou par le biais d’un changement indirect d’usage des sols ailleurs, avec des pertes de carbone et de biodiversité associées. Les mesures destinées à faciliter l’adaptation à un aspect du changement climatique sans tenir compte d’autres aspects de la durabilité peuvent dans la pratique être inadaptées et entraîner des effets néfastes imprévus. Traiter le climat, la biodiversité et la société humaine comme des systèmes couplés est la clé du succès des interventions politiques ».
4. RAPPORTS 2024
Les deux nouveaux rapports de l’IPBES publiés respectivement les 17 et 18 décembre 2024 lors de la 11ème session de l’IPBES à Windhoec, la capitale de la Namibie) sont les suivants :
- Un rapport dit « Nexus » (il faudra s’habituer à ce mot peu usité qui signifie «une connexion, généralement là où de multiples éléments se rencontrent ») qui analyse donc les 5 éléments qu’il convient d’aborder conjointement et à même niveau pour résoudre la crise mondiale : la biodiversité, l’eau, l’alimentation, la santé et le climat. En bref, une action est à rejeter si elle est positive pour un des éléments et négative pour les autres.
- Un rapport dit « Changements transformateurs » qui explore les actions ayant un potentiel transformateur de la société humaine.
Résumons nous : 147 Etats, 165 scientifiques, 850 visons favorables au changement avec près de 400 exemples, pour 186 scénarios en 6 archétypes, présentant 70 options de réponse dans 10 grandes catégories d’actions incluant 5 stratégies…
On a le tournis…Rassurons nous : le tournis est un « vertige positionnel paroxystique bénin ». Ouf !
Bref, il s’agit d’un catalogue de bonnes intentions sans qu’à aucun moment on ait la moindre idée de comment elles pourraient s’appliquer…
Reste que les propositions et les intentions sont écrites et ne sont pas inintéressantes. Quelques exemples qui nous concernent directement aujourd’hui:
- Si on agit en positif pour l’alimentation par l’intensification agricole et la chimie, cela s’oppose au maintien de la biodiversité, à la ressource en eau et au climat.
- Si on agit pour le climat en produisant de l’énergie « décarbonnée » à tout prix, cela s’oppose au maintien de la biodiversité, à l’alimentation par mise en concurrence des terres.
- Les rapports notent 2802 mobilisations sociales et environnementales entre 1992 et 2002, mais constate que dans le même temps plus de 2000 défenseurs de l’environnement ont été assassinés. La conclusion donnée est : « Les efforts déployés par les gouvernements pour protéger, soutenir et encourager le travail des défenseurs de l’environnement peuvent faire la différence». Les blessés de Sainte-Soline et les inculpés pour terrorisme d’une action contre Lafarge dans l’Eure apprécieront…